|
| |
ACHAB
Il était bien un peu givré au départ, mais personne ne pensait que ça allait
tourner au drame.
Son livre de chevet, c'était « Moby Dick ». Ça faisait longtemps qu'il nous
avait dit
qu'il était la résurrection du capitaine Achab, et malgré que nous lui ayons
expliqué
qu'on ne pouvait être la résurrection d'un personnage de roman, il
persistait dans son idée fixe.
Sa baleine blanche à lui était une femme, celle qui le ferait craquer. Elle
était blonde
et belle nous avait-il expliqué sans plus de précision. Il passait donc son
temps à scruter
l'horizon pour tenter d'apercevoir cette chimère. Bon comme attendre c'est
pas un boulot
à plein temps, il chassait forcément de la baleines pas blanche, des ersatz
en quelque sorte,
histoire de s'entraîner pour le grand jour et lorsque il en avait harponné
une, elle
l'entraînait toujours vers des contrées sauvages, le genre « Là ou la main
de l'homme
n'a jamais mis le pied » et il ramait comme un furieux dans sa baleinière
après elle.
Il avait une assez bonne expérience de ce sport et il finissait presque
toujours par
les rattraper et les harponner.
Il avait ça dans le sang, le goût de la poursuite, une fois harponnée, la
baleine perdait
tout son pouvoir d'attraction et il l'abandonnait se remettant à scruter de
nouveau l'horizon
afin de trouver l'ultime baleine. Mais ça restait artisanal.
Et puis un jour, l'un d'entre nous lui a parlé des clubs de rencontre sur le
net, lui
expliquant que ça marchait plutôt bien. Il s'inscrit donc et devînt accro au
truc.
Passant le plus clair de son temps devant l'écran de son PC qu'il avait
rebaptisé
« Le Péquod », il peaufinait ses approches, répondant chaque matin a toutes
les nouvelles
inscrites dans la mesure ou elle étaient blondes. Il ne sortait plus que
pour se rendre
aux rendez-vous qu'il avait obtenu. Il était doué, on ne peux pas lui
enlever ça.
Il accumulait les cadavres de baleines comme d'autres collectionnent les
timbres poste.
Il était passé au stade industriel.
Et puis un jour, il est tombé sur sa baleine blanche, la photo, le texte,
tout était là,
c'était elle. ça l'a laissé sans voix. Scotché, il n'a rien trouvé à lui
dire, alors forcément
l'autre l'a zappé. Furieux il a fondu un fusible. Il a saisi un CD, un clou
gros ça comme
et il a voulu le planter dans le mat du Péquod, comme son illustre modèle.
Mais bon un clou
dans l'écran, ça le fait pas. Le tube cathodique lui a pété à la gueule. On
l'a ramassé
à la petite cuillère. Depuis c'est un légume, toujours dans le potage.
Vouloir réécrire Herman Melville et finir avec un Q.I. de mollusque bivalve
lamellibranche.
C'est con parfois la vie.
Le bon bonze
|
| |