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1 - De Sophie L le lundi 17 juin 2002 à 14:12 | |||||
Bonjour à tous, De retour d'une belle croisière de Brest à Galway, et un seul regret : c'était trop court ! J'avais fait pour une fois infidélité à La Granvillaise, double infidélité même puisque j'ai embarqué sur un vaisseau breton, mais toujours dans la même ambiance "bateaux traditionnels", puisque j'ai embarqué sur La Recouvrance, la belle goélette de Brest. Histoire de voir comment un autre de ces "jeunes vieux gréements" se débrouille sur l'eau, histoire aussi de traverser la Manche à la voile pour la première fois et d'en faire une expérience magique par la grâce d'une goélette si belle et si confortable ! Voilà l'histoire de ce voyage, en quelques épisodes. Je vous préviens, c'est long, et il n'y a pas vraiment d'expériences inédites ou de difficultés particulières qui pourraient faire l'objet d'une utile leçon de mer... Juste un vieux rêve, de cette traversée, de ce bateau et de cette destination, enfin réalisé ! Pour ceux qui n'ont pas la patience de tout lire : il a fait beau et La Recouvrance est un bon bateau. On est parti au portant et on a fini au prés, on a mis 72 heures pour attendre le Fastnet en quelques bords, puis 3 autres jours pour remonter jusqu'à Galway en longeant la côte et en s'arrêtant dans des petites baies tranquilles. On a eu des moments magiques, quelques moments un peu plus durs, mais rien de bien grave. Personne n'a été malade. J'ai des souvenirs à revendre pour les longues soirées d'hiver. On n'a pas croisé de frbistes. Et j'espère que je retournerai en Irlande, avec un peu plus de temps devant moi... Merci de votre attention, bon vent à ceux qui naviguent et bon courage à ceux qui ne naviguent pas ! -- Sophie, (loin) de Granville http://www.terremer.net Les FAQs du forum : http://frbateaux.net Opération SNSM : http://snsm.frbateaux.net |
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2 - De Sophie L le lundi 17 juin 2002 à 14:16 | |||||
Bonjour à tous, Une traversée, ça commence d'abord par un bateau. Alors, embarquement immédiat sur la goélette La Recouvrance, amarrée au Quai Malbert dans le port de commerce de Brest ! Vingt-cinq m de coque (42m hors-tout), 6.40 m de maitre-bau et 3.20 de tirant d'eau, cette goélette est la réplique d'un aviso, bateau militaire du siècle dernier. L'Iris, dont les plans ont été établis par l'ingénieur Hubert vers 1817 (ainsi que 4 autres bateaux similaires) servait au transport du courrier urgent, ainsi qu'à des missions de surveillance et de protection des navires de commerces, sur les côtes d'Afrique et aux Antilles, avec une cinquantaine d'hommes à bord. Aujourd'hui propriété de la ville de Brest dont elle est le navire-ambassadeur, elle a été reconstruite dans le cadre du concours "Bateaux des Côtes de France", lancé par le Chasse-Marée à la fin des années 80 - début des années 90. La reconstruction, lancée à l'initiative d'un groupe d'individuels passionnés regroupés en association, commence en 1991 au Chantier naval du Guip, à Brest. La solidité prime sur la légèreté : le bateau terminé déplace 150 tonnes, mais est construit pour naviguer au moins un siècle ! La coque a été mise à l'eau le 14 juillet 1992, pendant les festivités du grand rassemblement de Brest 92. Il faudra encore presque un an de travaux pour que la goélette reçoive son gréément et puisse faire ses premiers bords sous voile. Elle est gréée en goélette à hunier, sur deux mats à forte quête vers l'arrière : trois voiles d'avant au bout du long baupré (grand foc, petit foc, trinquette); deux voiles auriques, une misaine à bordure libre et une brigantine (ou grand voile) avec un gui (bôme), et 4 voiles hautes, un hunier et un perroquet sur le mat de misaine, une voile d'étai entre les deux mats, et une voile de flèche au-dessus de la grand-voile. Belle garde-robe de 430m2 ! Et il y a encore de la toile cachée… Vous verrez plus tard. Mis à part un guindeau électrique et une barre à roue hydraulique, peu de concessions à la modernité ont été faites sur le pont : pas de winch ni de taquet coinceur ! L'intérieur, en revanche, magnifiquement aménagé et décoré dans le style Restauration des appartements des officiers de l'époque, jouit de tout le confort moderne (ou presque !). A l'avant du grand mat, on descend tout d'abord dans le carré. De part et d'autre d'un large espace de circulation (parquet vernis peint en trompe-l'oeil marquetterie - joli mais très glissant à la gite !), deux grandes tables avec banquettes en U accueillent chacune 8 personnes. Le long des parois, des placards accueillent des réserves de nourriture, des livres sur la Bretagne et les bateaux traditionnels, la collection complète du Chasse-Marée, une chaine-hifi et des CDs, une télé et un magnétoscope… Deux vitrines centrales accueillent à tribord une statue de Notre-Dame de Recouvrance, et à babord, protégées par un gilet de sauvetage, les bouteilles de l'apéro ! A babord de la descente, en arrière du coin salon, on trouve la cuisine, royaume du fantastique chef cuisinier (j'y reviendrai). Frigo (sur batterie), cuisinière-four combiné micro-ondes, congélateur (ces deux derniers sur générateur, qui ronronne très discrètement 2 fois par jour, en mer), deux éviers, belles vaisselles, et tout et tout. A tribord, une salle de bain, avec 3 lavabos, 2 cabines WC-douches (et l'eau chaude !). Le tout est décoré dans des tons blanc et bleu, très clair, très cozy, et éclairé par des prismes fixés dans l'épaisseur du pont (ainsi qu'un éclairage électrique sur batterie). Vers l'avant on accède au coin "dortoir", derrière une cloison fermée par une porte étanche. Douze couchettes disposées en 4 alcoves de 3 couchettes superposées, alcoves occultables par des rideaux. Oreillers et couettes confortables, linges de lit sont fournis, il manque juste un peu d'espace de rangement pour les affaires...Ici les tons sont jaune et rouge, rouge pour rappeler la couleur qu'on trouvait sous les canons, à l'époque, choisie pour dissimuler les traces de sang...Encore sur l'avant, deux cabines pour l'équipage. Sur l'arrière du bateau, devant la barre, on descend dans le carré équipage, lui aussi décoré dans le même style : deux cabines (pour le capitaine et le second) autour d'une pièce de toilette, et un large coin navigation, avec tout ce qu'il faut sur un bateau qui est loin du port plus de 200 jours par an, et souvent pour des voyages de plusieurs jours : loch, sondeur, GPS, radar, VHF aux normes SMDSM, connexion Inmarsat pour internet et téléphone, collection complète de cartes, j'en oublie surement. Entre les deux carrés, la machine, eh oui. Bon, je ne suis pas descendue et je n'y connais pas grand chose, mais je sais que c'est un moteur Baudouin de 350 chevaux. Elle sert pour les manoeuvres de port, et, comme on s'en rendra compte, pour aider à faire route quand le vent n'est pas favorable, car malheureusement ce beau bateau ne peut pas toujours se permettre de musarder en chemin, ayant un emploi du temps bien rempli… Bref, un beau bateau solide, confortable et sûr, et mettre le pied à bord c'est déjà un peu mettre un pied dans un rêve... (Si vous voulez en savoir plus : http://www.larecouvrance.com , et je vous promet que je n'ai pas eu de réduction pour faire de la pub). -- Sophie, (loin) de Granville http://www.terremer.net Les FAQs du forum : http://frbateaux.net Opération SNSM : http://snsm.frbateaux.net |
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3 - De Alain Fosse le lundi 17 juin 2002 à 14:31 | |||||
dans l'article de News, Sophie L à sophie.launeynospam@free.fr.invalid a écrit le 17/06/02 14:16 : > Bonjour à tous, > > Une traversée, ça commence d'abord par un bateau. Alors, embarquement > immédiat sur la goélette La Recouvrance, amarrée au Quai Malbert dans le > port de commerce de Brest ! Bravo Sophie, Un vrai petit" Tintin reporter". J'attends la suite avec impatience. Cordialement. Alain Fosse Rêvez avec les images de news://news.zoo-logique.org/images.bateaux-nautisme |
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4 - De Sophie L le lundi 17 juin 2002 à 14:20 | |||||
Bon, un bateau, c'est bien, mais les compagnons de voyage alors ? Pour manoeuvrer ce bateau, il y a une équipe de 5 marins à l'année plus un embauché pour la saison (avril à novembre) : Cédric le capitaine, Jean-Hervé le second, Franck le bosco, Rodolphe le chef-machine, Olivier le cuisinier et Cyril le matelot-cuisinier en second. Ils prennent leurs vacances à tour de rôle, de sorte qu'il y a toujours 5 membres d'équipage à bord. Pendant tout l'hiver, ils sont toujours au moins deux en service, parce que l'hiver aussi, il y a du boulot, et pas qu'un peu. Désarmement, inventaire, peintures, travaux divers, réarmement, bref le lot habituel de l'hivernage d'un bateau, de 25 mètres de coque, et en bois, en plus. Pour cette croisière vers l'Irlande, c'est le second qui est en vacances, le bosco assume donc son rôle. Et nous sommes 10 passagers, dont : un français expatrié en Belgique de 78 ans mais toujours bon pied bon oeil, qui a été chasseur alpin, champion d'aviron, moniteur de plongée, qui navigue depuis qu'il sait marcher (ou presque), qui a eu une goélette de 18m avec laquelle il a du faire 3 fois le tour du monde, qui a fait des grandes virées en kayak dans la Mer du Nord avec sa femme, bref, un gars qui a des choses à raconter ; un ami un peu plus jeune, parcours inverse (belge expatrié en France), qui a beaucoup navigué, connait La Recouvrance et veut la découvrir en conditions de croisière; un ingénieur de centrale EDF a qui sa famille a payé le voyage pour ses 50 ans; un ancien marin-pêcheur de la Mer du Nord (tiens, encore un belge) qui habite maintenant dans le Morbihan, et un de ses amis, breton pur cidre ; un jeune allemand (ex de l'Est) qui travaille pour un constructeur de goélettes et dont le voyage est payé par son patron (mais sur ses congés) ; un ancien éditeur en retraite à Logonna-Daoulas et qui amène sa guitare ; deux copains venus de Gruissan (coucou Alain) ; et moi donc. (si vous comptez bien, vous verrez que la parité n'est pas exceptionnellement respectée...). Que des gens qui connaissent et qui aiment la mer, et qui ont eu envie, pour voir, d'un petit bout de rêve sur un bateau différent… Le capitaine nous accueille donc à bord de ce qui va être notre maison pour 7 jours, jusqu'à Galway. Brève présentation du bateau et de son histoire, puis quelques consignes de sécurité, et démonstration des gilets, puisqu'ils ont eu aussi investi dans des gilets automatiques... Par contre, ils ont choisi Plastimo, et je découvre que ceux-ci sont équipés à l'intérieur de plein de petits gadgets qui m'ont l'air intéressants, comme une lampe à éclat à déclenchement automatique aussi, ou une pochette de fluoréscéine pour être vu sur l'eau. Ces gilets seront obligatoires la nuit quelle que soit la météo, et en cas de gros temps bien sûr. Il nous explique le programme : on va faire route le plus vite possible sur l'Irlande (donc sans halte aux Scillys, à mon grand regret) et une fois passé Mizen Head (la pointe Sud Ouest), remontée aussi tranquille que possible vers Galway avec des haltes pour la nuit dans des petites baies sympatiques... Comme la traversée va prendre au grand minimum 48 heures, on va organiser des quarts : 3 équipes de 5 qui se relaieront toutes les 4 heures, avec parmi les 5 soit le capitaine tout seul, doit deux autres membres de l'équipage professionnel. Les manoeuvres importantes (hissage ou affalage de voiles, ou virement de bord) se feront si possible au moment du changement de quart, quand il y a 10 personnes sur le pont. La météo annoncée est plutôt bonne, avec un petit vent de Nord-Est qui devrait tourner à l'Est, donc on va partir le plus vers l'Ouest possible, et après on verra bien… Voilà, amarres larguées, on part pour la grande traversée ! -- Sophie, (loin) de Granville http://www.terremer.net Les FAQs du forum : http://frbateaux.net Opération SNSM : http://snsm.frbateaux.net |
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6 - De Sophie L le mardi 18 juin 2002 à 10:33 | |||||
Bonjour Fanch, dogger a écrit : > merci de citer l'équipage Mais ils sont bien sympas, en plus d'être bons marins ! > par contre 5, c'est quand-même trop juste en nombre :o( C'est quand même déjà pas mal... La plupart des autres "jeunes vieux gréements" qui naviguent ont un équipage professionnel de 2, maxi 3 personnes (et là, ça peut être un peu juste, mais ça correspond pourtant aux exigences des Affaires Maritimes... Et ça coute cher, un marin, hélas...). A 5 ils peuvent convoyer le bateau, même dans des conditions un peu dures (mais c'est sûr que c'est fatiguant). Le reste du temps, ben il faut que les passagers donnent la main pour la manoeuvre, mais c'est aussi pour ça qu'on embarque sur ce genre de bateau, non ? > la pen-ar-bed > ne pourrait-elle pas embaucher pour arriver à 8 minimum?. Ca n'est pas la Pen-ar-bed qui gère le bateau, c'est une boite qui s'appelle la SOPAB (pour la ville de Brest). La Pen-ar-bed (qui est la compagnie qui fait les liaisons entre Brest/Le Conquet et les îles Ouessant, Molène, etc...) ne gère que la partie administrative des marins (sécu, etc...). L'été ils prennent aussi des stagiaires d'écoles maritimes (comme ça les vacances des autres reviennent plus souvent!), mais ils ne sont toujours que 5 à bord. Quant à embaucher 3 personnes supplémentaires, glps! Bon, je réagis comme ça parce que je vois bien comment ça se passe sur La Granvillaise : les salaires, c'est le plus gros poste de dépense (avant même l'entretien du bateau). Pour info, une croisière comme ça, ça m'a couté pour 7 jours 600 euros + 23 euros par jour pour l'hébergement (nourriture, linge...). Je pense (mais je n'ai pas vu le budget) que La Recouvrance s'en sort car la ville de Brest y investit "à fonds perdus" (c'est une vitrine de la ville). -- Sophie, (loin) de Granville http://www.terremer.net Les FAQs du forum : http://frbateaux.net Opération SNSM : http://snsm.frbateaux.net |
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7 - De Sophie L le lundi 17 juin 2002 à 14:25 | |||||
Samedi 1er juin On quitte le quai, donc, vers dix heures du matin, sous un grand ciel bleu magnifique, avec un petit vent de Nord-Est force 3, qui ne demanderait pas mieux que de nous sortir du Goulet, avec le courant de marée, et de nous pousser vers l'Ouest. Mais petit détail : il faut faire le plein de carburant. Pas grave, un samedi il n'y aura personne... Sauf... un bateau de la COMEX (exploitation sous-marine) qui remplit ses cuves... Quel volume il veut ? 20000 litres... et il en est à ? 4000 litres... Bref, deux heures à quai à se morfondre sur les aléas de la marine à voile motorisée et à se désoler sur tout ce bon vent qui souffle pour rien... D'ailleurs, il se vexe, le vent, parce que le temps qu'on réussisse à sortir du port, il est retombé comme une fleur… On envoit la toile quand même. Premiers contacts avec la manœuvre sur un tel bateau : eh ben y'en a du bout ! A babord, à tribord, à l'avant, à l'arrière, et au pied des mats… Heureusement, ils sont tous soigneusement étiquetés : "Drisse de pic de brigantine" "Drisse de mat" "Ecoute de hunier" "Bras de vergue sèche" "Hale-bas de trinquette" "Cargue point"... Ca n'est pas en sept jours qu'on va se familiariser avec tous, mais on va quand même réussir à en repérer quelques-uns. Allez, à hisser la brigantine. Drisse de mât et drisse de pic, la vergue doit monter régulièrement, le capitaine ou le bosco surveille. "Tiens bon le mât !" "On y va au pic !". Suivent le grand foc, le petit foc, la voile d'étai. Je trouve la manoeuvre moins physique que sur La Granvillaise ! (enfin, ça réchauffe bien quand même). Et puis, il faut bien, moteur en renfort... On remonte la rade sous le soleil qui tape, les shorts et tee-shirts sont de sortie, allez, c'est quand même pas si mal ! Sorti du Goulet on part au portant, c'est toujours ça de pris, donc on tire vers l'Ouest-Nord Ouest, toujours sous le soleil, après s'être signalé à Ouessant-Traffic. Je découvre pour la première fois un élément central du confort à bord : la cuisine. Olivier, le cuisinier, est un vrai génie. Il nous fera, pendant toute la traversée et quelque soit la météo et le degré de gite, de fantastiques repas 3 fois par jour, repas variés, copieux et délicieux. Et le premier repas est pris sur le pont, parce qu'un soleil comme ça, hein, on ne va pas le vexer. Entre les quarts de sieste on organise les quarts de veille, qui commenceront ce soir, à 20h. J'aurais voulu le quart du soleil qui se lève, et finalement j'ai celui du soleil qui se couche (20h-minuit et 8h-midi), ce qui finalement est bien aussi... Dans l'après-midi le vent tourne à l'Est et on oblique donc vers le Nord-Ouest. Il a aussi la gentillesse de se renforcer un peu et on peut donc envoyer toute la toile : la trinquette, les huniers, le flèche, la misaine. C'est sportif, la misaine (bon, les autres aussi, mais celle-là...). Elle est carguée le long du mât. Il faut donc en même temps larguer les cargues (au pied du mat) et dérouler puis bloquer la voile, alors que le vent se prend dedans. On met donc 5 ou 6 costauds en lignes sur l'écoute, près du point d'écoute, et un autre pour récupérer le mou et bloquer au taquet. Au signal, quand les cargues sont lachées, les 6 costauds doivent courir vers l'arrière avec l'écoute, en se battant contre le vent qui gonfle immédiatement la voile. Pas facile à border... Les huniers sont eux aussi cargués le long des bras de huniers, mais là il faut un gentil volontaire pour grimper dans la mature et défaire les cargues d'en haut. Le même gentil volontaire (ou un autre) devra refaire l'opération inverse quand on amènera ces voiles. Idem pour la voile d'étai d'ailleurs. Idem aussi pour les focs, surtout le grand foc, qui doit être ferlé le long du bout-dehors, obligeant un (parfois deux) marins à aller faire les équilibristes tout au bout, alors que la voile bat dans le vent... Sport, très sport. Ils ont un harnais, mais quand même. Mais bon, pour l'instant on coupe le moteur et on est là, tranquille, au soleil, sur le pont de La Recouvrance poussée par un petit vent de travers dans ses 430m2 de toile, et d'ailleurs, on ne pourrait pas faire mieux ? Le vent tourne encore, il est Sud-Est, on est presque vent arrière, et le spi alors ? Eh bien on en a un, de spi ! Enfin, sur une goélette à huniers ça s'appelle une fortune carrée, c'était caché dans une soute à voile, et ça s'envoie, trinquette affalée, en dessous des huniers, devant le mat de misaine. Superbe voile carrée de près de 100m2... Wow. Je n'ai pas regardé le GPS, je ne sais pas à quelle vitesse on va, sans doute pas très vite car le vent n'est pas très fort (6 ou 7 noeuds peut-être ?) mais bon sang, qu'est ce que c'est bon ! Bon, ça n'est pas tout, il ne faut pas oublier qu'on est aussi pas loin du rail d'Ouessant et qu'on ne va pas tarder à voir des cargos. On croise d'abord le rail montant, le premier cargo se détourne gentiment pour passer derrière nous. On passera beaucoup plus près de l'arrière du deuxième ! Malgré la bonne visibilité, on branche le radar. Ca sera surtout utile pendant la nuit, mais au final, je n'ai pas d'épisodes croustillants de rencontre avec un cargo à vous raconter... Le rail sera traversé sans encombre. Après le diner, on commence les quarts "pour de vrai", le vent mollit. Je ne sais pas comment les autres s'organisent, pendant notre quart on essaiera de se relayer à la barre toutes les heures. Il n'y aura autrement pas beaucoup de manoeuvres à faire, car on les garde pour le changement de quart, quand il y a du monde sur le pont (brasser la toile ou virer de bord sur un bateau pareil, à 5, c'est un peu juste). Je prend donc la barre de La Recouvrance pour la première fois, première fois aussi que je suis face à une barre à roue, quelques réflexes à perdre et d'autre à reprendre ! Ca ira tant qu'il faut barrer au compas. Par contre, il me faudra un peu plus de temps pour barrer correctement avec un repère visuel sur la côte ! Mais là nous sommes en pleine mer, c'est le compas qu'il faut suivre, donc... Un oeil sur le compas, un oeil sur les voiles devant, un oeil sur les voiles en l'air... J'ai un peu du mal à prendre la mesure de l'amplitude des mouvements de barre et de la vitesse de réaction du bateau (lent à réagir puis il part d'un coup), mais ça finit par venir et comme l'équipage ne me reprend pas la barre, j'en conclue que je dois m'en sortir à peu près correctement. Je suis un peu déçue par le peu de sensation dans la barre... mais pour rien au monde je ne céderai ma place ! Au changement de quart de minuit, le vent a encore molli. On affale la fortune, on cargue la misaine (plus facile que de l'envoyer, mais il faut être 6 : une personne à l'écoute et une sur chaque cargue, bien se synchroniser pour carguer et ne pas mélanger les bouts !), et les huniers. Et on s'aide de la risée Beaudouin… Et je me met au rythme des quarts. Pendant les deux jours qui vont suivre, j'ai l'impression que je n'ai fait que barrer, manger et dormir... Avec un peu de détente/rêverie sur le pont au milieu… C'est ma première longue traversée, sans mettre pied à terre pendant plusieurs jours. Et autant le deuxième jour je me surprendrai à vouloir que ça s'arrête de bouger, juste un peu, autant le troisième jour, je serais prête à continuer sur un tour du monde sans escale ! -- Sophie, (loin) de Granville http://www.terremer.net Les FAQs du forum : http://frbateaux.net Opération SNSM : http://snsm.frbateaux.net |
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8 - De Sophie L le lundi 17 juin 2002 à 14:33 | |||||
Dimanche 2 juin Pendant la nuit, le vent a tourné radicalement, et est maintenant Nord-Ouest, mais toujours gentiment 3-4. On a donc changé d'amure et on fait route au Nord, près serré (ça remonte mal au vent, ces goélettes !). Pendant mon quart du matin, on renvoit la misaine et le grand hunier (on a donc dû arrêter le moteur). Le temps est gris ce matin… mais se lèvera dans l'après-midi : encore soleil ! Je regarde l'écran du radar GPS et je vois un waypoint indiqué : 150 milles dans le 320. Quand le capitaine sort pour prendre son quart, je m'informe sur la nature du waypoint : "Le Fastnet". Ah... Le Fastnet. Ca fait remonter des tas d'histoires de courses et de tempêtes… De quoi occuper les rêves pendant la sieste ! On a un passager clandestin, un pigeon voyageur qui se promenera sur le pont pendant presque 48h, apparement fatigué. Il s'envolera plusieurs fois, les premières fois simplement tournant autour du bateau et se posant à nouveau sur le pont, puis, un matin, sentant qu'il doit partir, il quittera le bord sans hésitation, directement vers la côte anglaise... On vire de bord à midi pour un long bord vers l'Ouest car, bien qu'on soit loin au sud-ouest des Scillys, on s'approche dangereusement de leur rail (dont j'apprend l'existence à cette occasion...). De la côte anglaise, on ne verra rien, trop loin. A 19h nouveau virement. C'est du boulot, aussi, un virement de bord sur un bateau pareil. Je resterai toujours au même poste, à la grand voile, à l'arrière. On ne peut pas virer toutes les voiles en même temps, donc dans un premier temps la trinquette et les huniers restent à contre. Si tout le monde peut être sur le pont, c'est aussi bien. Il faut surtout du monde à l'avant (focs), à la misaine et trois ou quatre à la grand-voile. Si j'ai bien vu, pour la grand-voile, c'est la même écoute qui passe d'un bord à l'autre. Quand le signal est donné, on se place sur l'écoute au vent et on ramène progressivement la grand voile dans l'axe du bateau. Le capitaine, à la barre, nous aide en donnant le rythme "Ho! Ho! Ho!". Puis une seule personne suffit pour bloquer, puis choquer progressivement l'écoute, maintenant sous le vent. Pendant ce temps-là, à l'avant les focs ont été lachés et repris sur le bon bord (il faut des bras) et pareil pour la misaine, voile dangereuse car sa bordure libre est pile à hauteur de tête et balaye le pont en passant. Ensuite, il faut passer la trinquette, et également s'occuper des bras de huniers (on brasse, on brasse !), ainsi que des étais volants qui tiennent le grand mat, sur l'avant. L'ensemble, dans ce vent léger, prend une petite dizaine de minutes, quand tout le monde est prêt. On reprend le quart à 20h avec toujours un cap plein nord et le Fastnet à 155 milles dans le 320... Mais mais mais, on recule ! Pendant ce quart le vent tourne légèrement vers l'ouest et on finit le quart avec un cap au 330. Le vent est irrégulier (autour de 15 noeuds) et le bateau avance entre 4 et 6 noeuds. A minuit le Fastnet est à un peu moins de 140 milles. Lundi 3 juin Pendant la nuit, le vent et la mer ont forci. Le bateau gite beaucoup sur tribord, roule et tangue, et embarque de l'eau par-dessus la rembarde. Le changement de quart à 4h s'accompagne de l'affalage du grand foc, un peu sportif si j'en crois les pas précipités au dessus de ma tête. J'apprendrai plus tard qu'ils ont affalé la voile dans le noir complet, avec l'équipage professionnel à l'avant, qui se ramassait les vagues qui leur amenait à chaque fois de l'eau jusqu'aux mollets (les dalots d'évacuation de l'eau sont trop petits pour évacuer rapidement toute l'eau qui entre par-dessus bord : ça fait piscine...). Depuis une heure je tente de me cramponner à mon matelas et de m'étaler le plus possible, bras et jambes en croix, pour essayer de ne pas partir à la gite. Il faudra finalement sortir de dessous le matelas la planche anti-roulis qui restera à poste jusqu'à la fin du voyage. C'est quand même plus serein. Le quart de minuit-4h vient se coucher, fatigué, trempé (en plus, il pleut...). L'un d'entre eux glisse sur le plancher mouillé et fait un beau vol plané. Un autre, qui venait de se coucher à tribord, se relève pour l'aider. Juste à ce moment-là, une vague plus forte que les autres balaye le pont sur une hauteur suffisante pour recouvrir les écubiers d'aération et un belle colonne de plusieurs litres d'eau de mer se précipite dans la cabine, visant très précisement le sauveteur et sa couchette... Il est furieux, ce qui est compréhensible, et on l'aide à se remettre au sec. Il n'est pas le seul à souffrir de l'humidité. Le long du bordé, près de ma tête, l'eau suinte, insensiblement mais surement, belle tache d'humidité qui grandit sur le matelas. J'isole avec un sac plastique. J'apprendrai aussi que l'eau coule à grosses gouttes dans les cabines de l'équipage, à l'avant. Bref, ça a beau être un beau bateau confortable, ça reste un bateau : humide ! Le reste de la nuit est un peu dur, remuant, bruyant, et c'est au petit matin que je me prend à rêver de juste 30 minutes d'immobilité, juste un peu... Au petit matin je n'ai pas du tout faim, et j'ai hate de prendre l'air... Le soleil revient quand notre quart commence, et je tombe de sommeil. Le vent a encore tourné et on fait route au 15. La mer est belle, ceci dit, pas "mer belle" comme dans les bulletins météo, mais belle pour les yeux, avec une longue houle de 2 m (parfois un peu plus) qui va nous accompagner encore pendant quelques jours, de beaux moutons... Le bateau glisse et roule sans à-coup, soulevant des gerbes d'écumes. La vague d'étrave, son grondement, sont impressionnants. Nous sommes au près très serré (c'est à dire à 70 degrés du vent sans doute ! :^), il faut faire attention à ne pas mettre le hunier à contre, et l'équipage professionnel préfère garder la barre ("c'est chiant à tenir"). Je n'insiste pas ! On avance quand même à 5-6 noeuds. Quand on laisse le quart à midi, Le Fastnet est à 90 milles dans le 310. A 16h quand j'émerge, un peu reposée, de la sieste, le vent a adonné et on fait cap au 330, toujours au près serré, à 6-7 noeuds. Fastnet à 71 milles dans le 300. A 20h à la voile seule on ne fait pas mieux que 360. On cargue la misaine et les huniers pour faire route plus serré en s'appuyant au moteur : cap 310-315. Coucher de soleil somptueux. On ne se parle pas beaucoup pendant les quarts du soir, à part pour s'échanger les instructions au moment du changement de barreur et les demandes de café ou de petites choses à grignotter. Et pourtant, on est tous là, ensemble, sur le pont, à vivre ces moments dont on savoure chaque minute, en regardant partout sur l'horizon les vagues, les nuages et les quelques cargos qui passent. On croise quelques bateaux de pêche aussi, clignotants comme des voitures de pompiers... A 23h, enfin, on aperçoit les premiers feux de la côte : un éclat blanc, une seconde, un éclat blanc, six secondes… Old Head of Kinsale ? A minuit, Fastnet à 45 milles dans le 266. On devine déjà ses lumières sur l'horizon... Mardi 4 juin Pendant la nuit, il y a eu deux virements de bord, à 1h pour partir vers l'ouest, et à 6h. Quand je prend le quart à 8h on fait route plein nord et... la côte est là. Premiers contacts avec l'Irlance : c'est exactement comme je me l'imaginais ! Collines verdoyantes, falaises brunes, jusqu'au fort en ruine sur une petite île en avant de la côte… Et la météo aussi ne me déçoit pas : c'est ce mélange de soleil et de nuages qui passent et se poursuivent, cette lumière qui change à toute allure, ces rayons de soleil qui carressent les champs, et ces petits grains passagers qui font briller le pont et donnent naissance, au loin, à un petit arc-en-ciel… Fastnet à 15 milles dans le 260. La côte est claire et on peut s'en approcher assez près : pourquoi se priver ? On vire ensuite pour longer la côte et se diriger vers le Fastnet. On commence à l'apercevoir 10 milles avant, toujours dans ce mélange de soleil et de nuages. En avançant vers ce phare mythique, les nuages se font plus rares, et on passe devant le rocher, la gorge un peu serrée, à 11h, sous le soleil… On croise un voilier français, je n'ai pas pu lire son nom, juste aperçu un lion rouge (comme le lion normand) sur le tableau arrière… Ca vous dit quelque chose ? Ben voilà, on y est... 72 heures pour ma première traversée de la Manche, et me retrouver devant le Fastnet... C'est sur que ça n'est pas l'Atlantique, ni la course du Figaro, mais qu'est ce que vous voulez, je suis bien heureuse (et puis, j'ai faim, enfin !). -- Sophie, (loin) de Granville http://www.terremer.net Les FAQs du forum : http://frbateaux.net Opération SNSM : http://snsm.frbateaux.net |
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9 - De Sophie L le lundi 17 juin 2002 à 14:37 | |||||
Mardi 4 juin (suite) Le Fastnet passé, on tire quelques bords pour longer la côte jusqu'à Mizen Head, puis on continue à remonter jusqu'à Bantry Bay. On décide d'aller mouiller pour la nuit dans BearHaven, un abri situé derrière l'île de Bear Island, à l'entrée Ouest de la Baie de Bantry. On va aller mouiller devant Castletown, dont le guide nautique "South & West Coast of Ireland, Sailing directions. Irish Cruising Club" (le même qu'utilise lapache) nous indique que c'est un des plus grands ports de pêche de la côte ouest. On croise effectivement quelques beaux bateaux de pêche, quand on s'engage dans le chenal, étroit mais bien signalé par un alignement (deux marques roses fluo à terre). Mais ça reste quand même une petite ville ! Là encore, paysages beaux comme dans un livre : à babord, une forêt de rhododendrons violets, un chateau en ruine; à tribord, Bear Island, d'innombrables petits prés aux murs de pierre et couverts de moutons à tête noire; devant, la ville de Castletown, avec ses petites maisons aux murs multicolores… Le capitaine a annoncé son arrivée pour savoir si il était possible d'avoir une place à quai ("I'm a sailboat" "So what ?" "I'm 42 meters long" "...(silence étonné)..." ), mais apparement il y a déjà trop de bateaux de pêche pour la taille du port et donc on va mouiller un peu devant la ville (mouillage signalé sur la carte). On a déjà affalé toute la toile sauf la grand-voile, tranquillement on largue l'ancre et 90 m de chaine… On affale la grand-voile, un peu d'ordre sur le pont… Et voilà, on ne bouge plus du tout... Et ça fait tout drôle ! Premier repas depuis le départ que l'on prend tous ensemble… D'ailleurs, on en profite pour prendre l'apéro, et sortir les guitares. Dehors, c'est la météo irlandaise comme promis : toujours cette alternance de grains et de soleil, cette lumière mouillée et dorée (mais bon, mouillée quand même!). Le capitaine descend à terre histoire de faire les formalités d'entrée dans le pays, présenter ses civilités et prendre la météo. Il revient hilare au bout d'une trentaine de minutes : il n'a vu personne et la météo affichée date du mois d'avril ! Enfin, il a quand même trouvé un pavillon irlandais qui prend immédiatement place dans la mature, et du whisky ! Nous voilà parés pour la suite du voyage... Mercredi 5 juin Tous ensemble, on passe nos montres à l'heure locale (UTC +1, donc). On part vers 8h, en se disant qu'on va aller le plus loin possible. On ne tiendra pas les quarts aujourd'hui, si il y a besoin de continuer cette nuit on les reprendra à 20h. La pluie s'est arrêtée et on ne la verra plus pendant 2 jours. Le vent est Nord-Ouest (force 4 ?) et je vous laisse deviner dans quelle direction on va ? On envoie grand-voile, trinquette et voile d'étai, mais si on veut pouvoir avancer un peu, il faut s'appuyer au moteur. On fait 3 bords : un bord vers le 15, un long bord vers l'ouest, puis à nouveau vers le nord (mieux : 10). Il y a quelques nuages et pas mal de soleil. La mer est magnifique, verte ou grise ardoise selon le soleil, toujours cette longue houle qui aime bien le bateau (et c'est réciproque). Si on va à l'avant, on n'entend que le grondement de la vague d'étrave, qui couvre le bruit (d'ailleurs pas épouvantable) du moteur. Bon, il faut capeler les cirés, parce que ça arrose, mais on a l'impression que le bateau respire avec la mer, et on se surprend à ajuster son propre rythme de respiration sur celui de la goélette... Harmonie. A 16h30 on passe devant les îles Skellig, comme deux grandes machoires sorties de la mer. La plus grande, Skellig Michaël (ou Great Skellig), la plus vers le large, a été habitée par des moines, il y a plus de mille ans... Quelle idée, quelle force, quelle foi pouvait donc pousser des hommes à venir construire des habitations sur ces morceaux de cailloux, souvent inaccessibles par la mer, ouverts au vent, à la tempête, et sur lesquels pas grand chose ne devait pousser ? Entre Skellig Michaël et la côte, on trouve Little Skellig, qui apparait toute blanche, parce qu'elle est recouverte d'une colonie de plusieurs milliers de fous de bassans qui y nichent. La grande île est visitable, au départ de la côte. La petite est une réserve naturelle. La côte derrière est toujours aussi sublime, falaises, prairies et montagnes dans les nuages. On a l'impression que c'est désertique mais un coup d'oeil aux jumelles montre que partout, les hommes sont passés et ont patiemment édifié d'innombrables murailles avec les cailloux récupérés dans les champs, pour faire de la place aux moutons et pour essayer d'empêcher la terre de partir avec le vent... A 17h30, on peut mettre à la voile : on envoie la misaine, le petit foc et le grand foc. On doit donc abattre un peu. Quelques heures de simple bonheur de voile en se dirigeant vers l'entrée de la baie de Dingle et en particulier Ventry Harbour, juste à l'entrée ouest de la baie. Ventry Harbour est une baie circulaire avec une entrée d'un mille de large regardant le SE, c'est donc un bon abri sauf par vent de SE. Il y a au fond une belle plage de sable, et les fonds de la baie sont sableux aussi. Ca doit être très touristique en été, au vu des nombreux "mobil-homes" qu'on aperçoit sur la côte, mais ce soir, on est seul au mouillage ! A l'ouest de cette baie il y a une grande montagne, et l'arrivée est superbe car cette montagne a la tête dans les nuages et donc entièrement dans l'ombre, mais de temps en temps, les nuages se trouent pour laisser passer un rayon de soleil qui, comme un projecteur de théatre, vient souligner d'un cercle de lumière un champ, une maison, un mur de pierre... On mouille (presque) à la voile à 21h, au centre de la baie. Il y a quelques personnes sur la plage... On n'a pas croisé beaucoup de bateaux ni de gens pendant notre périple, mais en revenant par la route la semaine d'après, je me rendrai compte que la belle goélette n'est pas passée inaperçue... On finit encore cette belle journée à bord. C'est marrant, mais personne n'a envie de descendre à terre, malgré l'appel du houblon qui en titille quelques-uns depuis qu'on a vu les lumières du Fastnet. Il y aura bien le temps, à Galway, d'aller faire la tournée des pubs. En attendant, on est bien dans notre belle maison flottante, et on n'a pas envie de la quitter... -- Sophie, (loin) de Granville http://www.terremer.net Les FAQs du forum : http://frbateaux.net Opération SNSM : http://snsm.frbateaux.net |
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12 - De Sophie L le lundi 17 juin 2002 à 14:42 | |||||
Jeudi 6 juin Avant-dernière journée de la croisière et objectif Galway Bay. On a cru à un moment qu'on pourrait aller passer la nuit aux Iles d'Aran mais le vent toujours obstinément Nord-Ouest rend les mouillages là-bas délicats donc... Ca sera pour une autre fois (je n'y suis finalement pas allée, même à pied !). Bon, on a donc pas loin de 100 milles à faire dans la journée et on part encore avec le vent dans le nez, et en plus faible, donc, sniff, encore voile (grand voile, voile d'étai, trinquette) et moteur. On longe la pointe sublime de la Péninsule de Dingle (ça vaut le coup d'y revenir par la terre) jusqu'aux Blasket Islands, et puisque le temps est beau, plutôt que de les contourner par l'ouest, on coupe entre les îles et la côte, par le somptueux Blasket Sound (un des guides nous assure que "celui qui a vu Blasket Sound ne l'oubliera jamais"...). On découvre les habitations abandonnées sur les îles, en deux périodes : les habitations en ruine abandonnées lors de la grande famine de 1850, et les maisons plus récentes, désertées (sauf parfois l'été) depuis 1953 : trop loin, trop isolé, trop dur… Par contre, il y toujours les moutons partout (pas compliqués : si un caillou est suffisament grand pour qu'un brin d'herbe y pousse, alors il est assez grand pour y mettre un mouton). On continue à longer la côte : les rochers jumeaux (trumeaux ?) des Three Sisters, le mont Brandon dont le sommet est caché dans les nuages (montagne nommé en l'honneur de Saint Brendan, patron des marins et marin lui-même, mais je vous reparlerai de Saint Brendan), le petit village de Dunquin d'où un zodiac avec 4 personnes à bord vient à notre rencontre : "Bretons ?" "Yes" "Good luck!". Le vent monte un peu et avec notre combinaison voile et moteur, on avance à 8 noeuds. Le soleil brille tant qu'il peut, même si l'air vif et le pont recouvert d'une couche de sel humide nous font supporter tranquillement les cirés (je ne dirais jamais assez le bonheur d'avoir un ensemble respirant, qui fait qu'on ne marine pas dedans au soleil). Jolie brochette de schtroumpfs jaunes sur le pont, le col relevé jusqu'à la bouche et le nez luisant de crème solaire ! On fait la sieste sur le pont et là... On pourrait rêver un peu, non ? On pourrait rêver que le vent va se lever encore un peu, tourner un peu en notre faveur, et qu'on va pouvoir envoyer toute la toile (misaine, focs, huniers) et couper le moteur. On pourrait rêver qu'à la voile, on va continuer à avancer jusqu'à 8 noeuds, et qu'on va enfin commencer à ressentir quelque chose dans la barre, parce que oui, la goélette est ardente, et que dans les rafales (oh, les rafales : 25 noeuds ?), on va la sentir partir au lof, et qu'il va falloir apprendre à anticiper, doser, répondre à ses mouvements, et qu'on va se faire très plaisir à jouer avec elle. On pourrait rêver que des dauphins viendraient jouer avec cette belle coque verte et noire, qu'ils iraient cabrioler dans la vague d'étrave, avec une précision millimétrique, et qu'ils suivraient son sillage en nous offrant des sauts périlleux incroyables. On pourrait rêver qu'on passerait, à la voile, sous le soleil, à 8.5 noeuds, dans le Gregory Sound, entre les falaises géométriques d'Inishmore et Inishman, deux des îles d'Aran. On pourrait rêver qu'après une journée de navigation aussi magique, on irait relacher dans Cashla Bay, à l'entrée de la baie de Galway, entre un petit village sur la rive droite et les inévitables champs entourés de mur de pierre sur la rive gauche. On pourrait rêver que le soleil refuserait obstinément de nous abandonner et qu'on sortirait l'apéro et les guitares pour prolonger la journée sur le pont. On pourrait rêver qu'on sortirait même le barbecue (ben oui, quoi, un barbecue sur le pont, en Irlande, en juin, puisque je vous dit qu'on rêve !) et qu'on dinerait sur le pont, tiens. On pourrait rêver que deux petits bateaux à rames, en toile recouvert de goudron, descendants des curraghs qui sont construits dans le coin depuis la nuit des temps, viendraient rendre visite à la goélette, et qu'il y aurait un échange d'équipage pour que les rameurs se promènent sur le bateau à voile et que les voileux aillent ramer un peu. On pourrait rêver que le soleil, n'ayant pas envie de se coucher, fasse durer le plaisir en illuminant toute la baie pendant près d'une heure de ses derniers rayons, rouges, oranges, violets, encore, encore... On pourrait rêver qu'au petit matin, un phoque curieux vienne carresser la coque de ses moustaches, et qu'un petit bateau traditionnel (Galway hooker) vienne payer son hommage matinal à sa lointaine cousine d'outre-Manche… Ben quoi, si ça n'est pas fait pour rêver, les vacances, à quoi ça sert ? Ne fermez pas trop les yeux, quand même : et si le rêve était vrai ? Vendredi 7 juin Pour nous convaincre qu'on est bien dans la réalité, le petit matin est gris... Et la pluie se met à tomber quand on quitte Cashla Bay pour aller rejoindre Galway, dernière étape du voyage, hélas, hélas. Le vent nous a lachement abandonné, et donc, c'est au moteur et sous la pluie que nous remonterons la baie de Galway, jusqu'à ce qu'on rencontre le pilote, qui nous attend pour nous faire rentrer au port. Vu notre taille respectable, on sera placé au port de commerce, avec les cargos. La porte n'est pas large ! Mais quand on entre, le bureau du port amène le pavillon irlandais et le renvoie avec, au-dessus, un pavillon français. Merci pour l'accueil et le beau geste, messieurs ! Le port de commerce est aussi gris et triste que le temps. Heureusement, Galway est une belle ville, chaleureuse et accueillante ! Nous aurons bien le temps de nous en rendre compte, puisque nous avons toute l'après-midi et la soirée pour faire le tour de la ville et... la tournée des pubs (enfin, diront certains !). La pluie, voyant bien qu'elle n'a rien pu faire pour nous empêcher de rejoindre le port, abandonne (provisoirement) la partie et le soleil arrive par intermèdes sur les façades colorées des maisons. Il faudra se quitter dès le lendemain matin, un peu dur après tous ces moments magiques passés ensemble. Je reste encore 4 jours dans le pays, en "terrienne", pour découvrir un peu les paysages autour de Galway (Connemara, Dingle…) et la particularité du climat irlandais : si tu veux que le temps change, attend 5 minutes ! La Recouvrance a repris la mer le dimanche, pour rejoindre Cork en flanant sur la côte Ouest et Sud-Ouest. Bien sûr le vent a tourné au Sud-Ouest quand elle repart, et la mer est mauvaise... Elle va ensuite rejoindre Saint-Malo (le 22-23) et enfin Brest à la fin du mois, pour préparer la fête de ses dix ans. Entre le 11 et le 16 juillet, quelques 25 bateaux traditionnels sont attendus pour fêter l'anniversaire de la mise à l'eau. Comme au même moment les grands voiliers de la Cutty Sark seront à Brest en attendant le départ de la course, celà va faire de belles voiles sur l'eau dans la rade... Au plaisir de vous y voir peut-être ? La Granvillaise y sera, et moi à son bord... -- Sophie, (loin) de Granville http://www.terremer.net Les FAQs du forum : http://frbateaux.net Opération SNSM : http://snsm.frbateaux.net |
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13 - De jean-jacques le mardi 18 juin 2002 à 17:01 | |||||
Bonjour à tous, Quel beau récit Sophie. J'ai gardé d'excellents souvenirs de ma première traversée, il y a deux ans, à destination de l'Irlande. Première navigation sans voir la terre, premiers quarts de nuit, et le bonheur de découvrir ce pays magnifique. Cela m'a tellement enthousiasmé que j'y retourne cette année, le départ est pour samedi (encore trois jours à tenir). On va naviguer dans le sillage de la Recouvrance puisque notre objectif sera les îles d'Aran et Galway. Ouistréham-Galway-Granville, en 2 semaines, ça va en faire des milles. Mais quand on aime... Peut-être rencontrerons-nous des Irlandais qui nous parlerons de ce magnifique vieux gréement français qu'ils auront vu début juin. Bonne nav à tous @+ Jean-Jacques -- Utilisez notre serveur de news 'news.foorum.com' depuis n'importe ou. Plus d'info sur : http://nnrpinfo.go.foorum.fr/ |
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14 - De Sophie L le mardi 18 juin 2002 à 17:25 | |||||
Bonjour Jean-Jacques, tout le monde, (et merci à tous pour les encouragements). jean-jacques a écrit : > J'ai gardé d'excellents souvenirs de ma première traversée, il y a deux ans, à > destination de l'Irlande. Première navigation sans voir la terre, premiers > quarts de nuit, et le bonheur de découvrir ce pays magnifique. Oui, comme moi (enfin, j'avais déjà fait un quart de nuit, mais une seule nuit!), et c'est vrai que ça donne envie de recommencer ! > Cela m'a tellement enthousiasmé que j'y retourne cette année, le départ est pour > samedi (encore trois jours à tenir). > On va naviguer dans le sillage de la Recouvrance puisque notre objectif sera les > îles d'Aran et Galway. Ouistréham-Galway-Granville, en 2 semaines, ça va en > faire des milles. Mais quand on aime... Je te souhaite bon vent et belle mer, profite bien et prends-en plein les yeux! Si je compte bien tu devrais être à Granville le week-end du 6-7 : j'y serai aussi. Quel est ton bateau ? A bientôt et n'hésite pas à venir nous raconter ton voyage, si tu veux, quand tu rentres, on n'en a jamais trop des histoires de mer! -- Sophie, (loin) de Granville http://www.terremer.net Les FAQs du forum : http://frbateaux.net Opération SNSM : http://snsm.frbateaux.net |
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15 - De jean-jacques le mercredi 19 juin 2002 à 00:46 | |||||
Bonjour à tous > Si je compte bien tu devrais être à Granville le week-end du 6-7 : j'y serai aussi. Quel est ton bateau ? C'est un bateau associatif sur lequel j'embarque de temps en temps comme équipier. C'est le Mora 2, sun fast 42. Tient, on aura peut-être un comité d'accueil à Granville. > A bientôt et n'hésite pas à venir nous raconter ton voyage, si tu veux, > quand tu rentres, on n'en a jamais trop des histoires de mer! La navigation sera sûrement intéressante, mais je n'ai pas ta plume pour pouvoir en faire un récit captivant. @+ Jean-Jacques -- Utilisez notre serveur de news 'news.foorum.com' depuis n'importe ou. Plus d'info sur : http://nnrpinfo.go.foorum.fr/ |
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16 - De Hubert, de Cherbourg le mardi 18 juin 2002 à 19:39 | |||||
> Ouistréham-Galway-Granville, en 2 semaines, ça va en > faire des milles. Mais quand on aime... hou là ! projet ambitieux ! aurez vous le temps de descendre à terre ? il y a tellement de choses à voir en Irlande et même en retournant sur Granville, les chausey par exemple, une semaine n'y suffit pas ! bonne ballade Hubert, de Cherbourg. opération SNSM Hubert Pério 28 rue du coteau 50120 Equeurdreville http://snsm.frbateaux.net/ |
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17 - De Sophie L le mardi 18 juin 2002 à 20:23 | |||||
Bonsoir Hubert, tout le monde, "Hubert, de Cherbourg" wrote: > sur Granville, les chausey par exemple ^^^^ Oulàlà Hubert tu vas te faire disputer ! :^) (ce ne sont pas "les chausey", c'est "Chausey", tout simplement !). Ceci dit, c'est vrai que deux semaines pour le programme prévu, c'est sans doute deux semaines de navigation assez intense (en une semaine de Brest à Galway on n'a pas trop eu le temps de faire des pauses très longues... Mais on n'a pas eu énormément de vent, et pas mal dans le nez). Mais bon, si ils n'ont que 15 jours de vacances, et qu'ils veulent aller jusqu'en Irlande... Pas trop le choix... -- Sophie, (loin) de Granville http://www.terremer.net Les FAQs du forum : http://frbateaux.net Opération SNSM : http://snsm.frbateaux.net |
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19 - De jean-jacques le mercredi 19 juin 2002 à 00:47 | |||||
> hou là ! projet ambitieux Oui, « projet » justement. Je sais bien qu'il faudra composer avec la météo (trois jours de près, c'est pas top), avec l'équipage ( ce n'est pas la peine de faire le forcing, ça risquerait d'en dégoûter quelques-uns uns, sans parler de l'ambiance). Conclusion : c'est faisable (et j'aimerai le réaliser), mais si on n'arrive pas à monter jusqu'à Galway ce sera quand même une belle nav. > aurez vous le temps de descendre à terre ? Manquerait plus que je puisse pas aller boire ma Guinness :-). C'est qu'il me saperait le moral, du coup j'ai plus envie d'aller en Irlande. On aura une météo favorable et un équipage au top. @+ Jean-Jacques -- Utilisez notre serveur de news 'news.foorum.com' depuis n'importe ou. Plus d'info sur : http://nnrpinfo.go.foorum.fr/ |
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20 - De Sophie L le lundi 17 juin 2002 à 14:47 | |||||
Bonjour encore, Euh... Les fautes d'orthographe et de frappe sont garanties d'origine. Je ne vais pas faire un message correctif exhaustif, ça serait trop long... Je compte sur vous pour rectifier à la lecture, et je vais me couvrir la tête de cendres. Merci de votre indulgence ! -- Sophie, (loin) de Granville http://www.terremer.net Les FAQs du forum : http://frbateaux.net Opération SNSM : http://snsm.frbateaux.net |
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22 - De lapache le lundi 17 juin 2002 à 15:31 | |||||
Sophie L <sophie.launeynospam@free.fr.invalid> a écrit dans le message : 3D0DDA7D.1F0EB760@free.fr.invalid... > Bonjour encore, > > Euh... Les fautes d'orthographe et de frappe sont garanties d'origine. > Je ne vais pas faire un message correctif exhaustif, ça serait trop > long... Je compte sur vous pour rectifier à la lecture, et je vais me > couvrir la tête de cendres. Merci de votre indulgence ! > > -- > Sophie, (loin) de Granville http://www.terremer.net > Les FAQs du forum : http://frbateaux.net > Opération SNSM : http://snsm.frbateaux.net C'est tout simplement sublime. On devrait t'envoyer plus souvent en vacances Sophie. Tu nous ferais rêver à ton retour ! |
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23 - De Sophie L le lundi 17 juin 2002 à 17:44 | |||||
lapache a écrit : > On devrait t'envoyer plus souvent en vacances Sophie. Hmmm... Je suis d'accord ! :^) Je t'envoie le numéro de téléphone de mon chef par mail perso, y'a plus qu'à le convaincre (on ne sait jamais, si vous vous mettez à plusieurs, ça peut marcher ! :^) -- Sophie, (loin) de Granville http://www.terremer.net Les FAQs du forum : http://frbateaux.net Opération SNSM : http://snsm.frbateaux.net |
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25 - De Nominoe le lundi 17 juin 2002 à 17:37 | |||||
Hello Sophie... ....et merci pour ces quelques pages de lecture qui me font rêver de vieux gréement et d'Irlande (c'est un des lieux où j'ai vraiment envie d'aller à la voile, avant de viser encore plus nord un jour peut-être) -- http://nominoe.piriou.free.fr (annuaire de la voile, bourse aux équipiers, météo marine, photos,...) http://frbateaux.net -> les faq de fr.rec.bateaux |
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26 - De ADB le lundi 17 juin 2002 à 20:39 | |||||
Bonjour, C'est à pleurer... d'envie !!! Tu es mûre désormais pour lie tous les romans ayant la voile XVIIIe pour décor, les O'Brian, Forrester, etc... Tu comprendras sûrement mieux les manoeuvres que la plupart d'entre nous. Bravo encore pour ce fantastique récit. Ca mériterait une plaquette de pub pour leur prochaine croisière. ADB (F-CYADB) e-mail : adupinbe@noos.fr page perso : http://mapage.noos.fr/adupinbe/ page Guide Méditerranée : http://guidemediterranee.free.fr/ |
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27 - De Y. Nedonchelle le lundi 17 juin 2002 à 21:21 | |||||
Bravo Sophie, et merci pour le récit. Tu ne risquais pas de m'apercevoir en chemin car je suis toujours à Dunkerque. Le moteur du Vert-Galant a rendu l'âme après 25 ans de bons et loyaux services! Je suis en train de le remplacer et j'espère repartir fin juin. Yvon. -- Les Croisières du Vert-Galant en Ecosse, Baltique, Espagne. http://perso.wanadoo.fr/yvon.nedonchelle/voile.htm |
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28 - De Sophie L le mercredi 19 juin 2002 à 19:28 | |||||
Bonjour tout le monde, J'ai mis quelques photos sur le trombinoscope : http://equipage.frbateaux.net/sophie.l/album7/ D'autres bientôt sur mon site (ben si ça, ça n'est pas de la pub... :^) A bientôt -- Sophie, (loin) de Granville http://www.terremer.net Les FAQs du forum : http://frbateaux.net Opération SNSM : http://snsm.frbateaux.net |
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29 - De Nominoe le mercredi 19 juin 2002 à 19:42 | |||||
Hello Sophie, bon ben dis donc, tu es venue pour nous faire enrager? ;-) Merci pour ces quelques chouettes clichés! J'attends avec impatience les photos sur ton site. Nominoë -- http://nominoe.piriou.free.fr (annuaire de la voile, bourse aux équipiers, météo marine, photos,...) http://frbateaux.net -> les faq de fr.rec.bateaux |
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