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Le "Parler Matelot" (Le Coin des Livres - 14 juin )    
1 message du 14/06/2002 au 14/06/2002    

 1 - De Eric Surzur, de Vannes le vendredi 14 juin 2002 à 18:21 
 
Bonjour,
Ca a dû passer un peu inaperçu, dans un fil à blagues, qui a devié...
Sacré Alain...!
Ca m'a coûté 30/40 mn de dactylo, a lieu de bosser, alors autant le rendre
plus lisible en recopiant ici.
Il s'agit du"Parler matelot", de Pierre Sizaire, éditions Maritimes et
d'Outre Mer, rue Jacob.
Quelques délicieux extraits...!

 Pages 131 à 136:
>
> HO ! DU BOSCO...
> ou Le "bal d'équipage"
>
> Le premier maître de manoeuvre Capabord, estimant l'action muette
préférable
> à la parole fleurie, n'aimait ni les bavardages, ni les mondanités.
> Il lui arriva cependant, à l'occasion d'un bal d'équipage de faire le
marin
> de salon sur la plage arrière du cuirrassé "Fraternité". Et d'en fournir
un
> long récit à ses gabiers aussi étonnés qu'admiratifs.
>
> => Dame, garçons, ça se passait du temps quand j'étais bosco de la
> "Fraternité".
> Ce jour-là, à l'appel du matin, le capitaine d'armes avait lu que tout le
> personnel serait consigné à bord, officiers compris, vu qu'il y aurait bal
> d'équpage et que forcément, les deux corvées seraient des corvées de
danse,
> avec distractions obligatoires et tout.
>
> Toute la matinée on avait postes-lavages et propreté. Les canonniers
avaient
> briqué à blanc la plage arrière, chose que, il faut reconnaître, ça ils
> savaient faire. Et les agents des vivres ils avaient installé le buffet.
> Moi, j'avais sorti de soute mon jeu de tentes numéro un et le chef
timonier
> Revoalen il les avait habillées bellement avec ses pavillons du
> code-ternational.
> Et aussi, respect qu'on doit aux dames et demoiselles, j'avais fait
disposer
> le long des échelles de coupée les toiles-la-pudeur propres et
blanchettes,
> plus coquettes que jamais avec leurs ancres et leurs bandes bleu marine
> toutes neuves cousues.
> Mais ça groumait un peu dans mes embarcations et Passaloc, qu'il est
> brigadier dans la grande chaloupe, il était pas content après moi et il
> disait comme ça: " si on dispose comme ça les toiles-la-pudeur, le jour
que
> les goualiches elles montent à bord, c'est plus la peine d'être brigadier
> alors !"
>
> Comme c'est dans les coutumes au service Manoeuvre, on était paré partout
un
> bon temps de par avance.
> Voyant ça j'ai pensé à faire une ronde pour rien, histoire de tout
vérifier
> de retour.
> Je dois dire qu'y avait vraiment pas à redire. Pas un dernier coup de
> trompette à donner. Pas un bout' de filin à faire relover. Mes
> seconds-maîtres ils avaient fait l'oeil du maître auparavant que leur
chef.
> Mais qu'est-ce que j'aperçois sur ma plage avant ? Un éléphant installé
sur
> le brise-lames et qui s'occupait à casser son casse-croûte en rigolant au
> vent.
> Je lui fais remarquer - bien poliment rapport aux consignes reçues - que
> c'était pas l'endroit pour envoyer les plats et qu'il allait salir le pont
> qu'il était tout propre avant lui.
> Vous me croirez si vous voulez, le voilà qui se met à m'agoniser, à me
dire
> qu'il est un peu chez lui, attendu que c'est un bateau de l'Etat et qu'il
> l'a payé avec les sous qu'il donne pour ses impôts.
> "Bien raisonné", je lui dis. Je tire de ma poche le petit toron que j'ai
> toujours en prévision. Je décommets un fil caret et je lui tends en
faisant:
> "Tenez, bourgeois, je vous rends votre part de bateau. Seulement
maintenant,
> faut vous capeler, l'Etat ne vous doit plus rien."
>
> Sitôt que la fête a commencé, j'ai pris mon poste de veille sur le pont
> supérieur. De là, j'avais l'oeil sur les coupées et je pouvais m'assurer
> comme mes patrons d'embarcation ils faisaient leurs accostes.
> Entre-temps je donnais un coup de longue-vue sur le spectacle et ça valait
> la peine, garçons. Y en avait des beaux messieurs, des dames à chapeaux,
des
> militaires en tenue, des payses qu'elles portaient coëffes de Vannes, de
> Quimper et de Quimperlé...Pour voir embarquer tout ça par palanquées, les
> non-de-quart s'étaient alignés à toucher les rambardes, comme qui dirait
aux
> "postes d'admiration."
> Pendant ce temps-là la musique des Equipages de la Flotte elle avait pas
mis
> bas l'ouvrage; elle leur envoyait des airs de danse, mais alors !  des
> danses modernes, vous savez bien, des danses comme on voyait autrefois
dans
> les îles, chez les Sauvages, et comme c'est la mode aujourd'hui à Paris, à
> Brest et même à Recouvrance !
> Comme de juste et comme de raison, c'est le commandant du bord - capitaine
> de vaisseau Le Crocq de Rocambeau - qu'il a ouvert le bal avec la reine
> élue, la grande Mayvonne, l'aînée des sept demoiselles au maître commis.
> Et M. Guy d'Artimon, le nouvel aspirant qu'on venait de toucher au Service
> Manoeuvre, il était pas à la traîne, dame, non. Il avait pas été long à
> harponner Melle Gwendoline de La Vinotière, une pitaude qu'elle reste au
> manoir de Keravel-en-terre; et il la faisait tournevirer, fallait voir !
>
> Question des hommes, y'avait pas eu besoin de leur sonner le rappel au
> quart. Ils étaient tous à gambiller tant que tant, même mon gabier
Trésillon
> que je croyais tout juste bon à valser dans sa baleinière. Et même
Kerozenn,
> le patron mécanicien, qu'il avait croché dedans une Marie-Jeanne tellement
> d'un gros gabarit qu'il avait beau la chafuster, il arrivait pas à la
> manoeuvrer proprement, cause que ses bossoirs lui faisaient débordoirs.
> Tandis que la Marie-Annick, de Locmiquélic, qu'on la disait la "Reine de
> bigorneaux", ella faisait la quête pour les familles des péris-en-mer.
> Escortée qu'elle était par le quartier-maître de manoeuvre Pénarvir.
>
> Moi, j'étais là à considérer bien tranquillement leur va-et-vient quand je
> m'entends héler: "Ho ! du bosco..." Je fais l'aperçu; c'est le chef qui me
> passe le signal que le command'en second il demande après moi. Je vais et
le
> command'en second il me dit:
> "Et bien ! maître Capabord, vous ne participez pas à la fête ?"
> Je lui fais remarquer que, comme on avait écrit à la feuille de service:
> "Tenue soignée", j'avais capelé mon veston en drap d'officier, coiffé ma
> casquette d'inspection et aussi que j'avais aussi sorti tout mon rechange
> neuf et toute ma ferblanterie: croix de guerre, médaille militaire, de
> sauvetage, coloniale et autres. Enfin, pour la circonstance, j'avais tout
> mis dessus.
> "Cest parfait, qu'il me dit, le command'en second, mais il faut également
> danser."
> - Danser ? que j'y réponds. Regardez un peu comme ils font: avec leurs
bras,
> là, ils font comme ça, à croire qu'ils veulent s'entraîner à actionner la
> pompe de cale.
> Et avec leurs pieds c'est la même chose: probable que c'est pour donner la
> main à briquer le pont. Moi commandant, des danses comme ça, je sais pas
> faire: je suis resté à la gavotte du temps de la marine en bois et au
> goudron.
> Dame ! Vous me connaissez, vous savez que c'est pas dans ma spécialité de
> faire le gracieux, que j'ai jamais mis mon sac dans un salon."
> Alors, le command'en second il m'a dit encore:
> "Moi non plus, je ne connais pas ces danses-là. Mais ça ne m'empêche pas
de
> prendre part à la fête, de tenir comapgnie aux dames âgées, ou
d'accompagner
> au buffet, ceux, qui, comme nous, de dansent pas.
> - Et ça vous amuse, ça commandant ?
> - Pas précisément, mais c'est notre devoir de nous occuper de nos invités
et
> de leur faire honneur. C'est un peu du service, après tout."
> Et le voilà, qui appareille pour prendre en charge une vieille poulie de
> retour. (ah ! nous y voilà ! / Eric.)
> Voyant ça, j'ai réfléchi et je m'ai dit: "Allons, Capabord, te voilà pris
> dans la balancine. Puisque c'est ton devoir, quand même que tu es le
bosco,
> faut y aller et pas de mollesse."
> Alors je mets le cap sur la plage arrière et là je fais mon tour d'horizon
> en commençant par tribord et en cherchant une jolie frégate, bien
> accastillée et proprement gréée, mais naviguant isolément comme de bien
> entendu.
> Seulement, dans des cas comme ça, celles qui restent à la traîne, c'est
> plutôt des fargue-mal. Et moi, je suis pas fier, mais je voulais pas
> m'amateloter avec une mère Brinqueballe, haubanée de travers et laide à
> faire peur aux cachalots.
> Et j'osais pas non plus - même en prenant du tour - aller faire l'accoste
> aux belle dames pour officier ou maître-principal.
>
> Alors j'ai viré de bord, passé à babord; et là, la brise était plus
> favorable. J'ai jeté mon grappin sur un premier brin de jolie poupée, bien
> taillé pour la course et qui faisait la belle-en-rade. Et malgré que
j'avais
> peur de me faire déborder, je lui ai demandé si elle voulait faire le tour
> du bord de conserve. Et garçons, elle a pas dit non.. Elle a même dit:
"Avec
> plaisir monsieur", parce qu'elle me disait "monsieur", remarquez. Et
encore
> qu'elle pas eu honte de me donner son bras.
> Nous mettons en route et me voilà qui me déhale bord à bord avec elle de
> l'arrière à l'avant du yak'. Et en la pilotant, je lui expliqais un peu
> tout, comme ça venait: canot', youyou, guindeau et cabestan...
> Ha ! pour sûr, c'était une belle prise !
> Et, preuve qu'elle était bonne nature, elle ouvrait en grand ses écubiers
et
> ses écoutilles. Et vous pouvez considérer que je préférais lui faire le
> cours à elle, mignonne qu'elle était, qu'à ces mal bordés d'apprentis.
> Aussi, c'est bien aimable que j'étais avec cette innocence, moi Capabord
> qu'on dit toujours que je fais la gueule de tangon.  Et j'avais pas trop
de
> mérite à lui faire honneur, vu que c'était du "service-après-tout" comme
il
> avait si bien expliqué le command'en second.
>
> Mais on a raison de dire dans la Marine: "Trop belle journée, toujours a
mal
> tourné".
>
> Comme je la convoyais de retour pour rallier la plage arrière, voilà qu'un
> barbouillé vient l'engager à danser. Un fourrier, garçons ! Un matelot aux
> écritures ! Un bras-cassé ! Un fatras de marine qu'il fait le quart avec
la
> bordée du milieu !
> Ha ! quand la mer fait son gros dos, on les voit pas trop sur le pont, ces
> galons dorés. Mais au mouillage; et surtout jours de fête, alors là, ils
> sont farauds, excités qu'ils sont, comme des bélugas-mêmes.
> A croire que c'est eux qui font marcher le bateau avec leur porte-plume !
>
> Mais espère un peu, écrivain de malheur'. Sitôt qu'on aura débouqué du
> Goulet, mis le nez dans la plume, y'aura pas plus de fourrier sur le pont
> que de vin dans mon bidon.
>
> Dame ! Je dois dire, ça me démangeait de lui envoyer un bon pare-à-virer.
> Mais rapport aux invités, je pouvais même pas lui donner la tosse. Et je
> pouvais pas retenir ma princesse avec un amarrage à quatre.
> Alors j'ai laissé courir. Et comme on pouvait plus accoster au buffet , vu
> que les invités s'étaient jetés dessus comme des vrais gouyots, j'ai
pensé:
> "Capabord, vis à vis du command'en second, tu as fait ta force."
> Et je m'ai ramassé au poste des maîtres en disant:
> "Terminé pour la manoeuvre !"
>
> .......Voilà ce que j'appelle de la culture !
> Les 200 autres pages sont du même tonneau, avec des sommets à s'écrouler
de
> rire et changer définitivement de vocabulaire !
> ;-)
> Eric.
> ps1: merci à ma Grand-mère qui m'a appris la dactylo. Paix à son âme !
> ps2: les expressions comme "fil caret" et autres, qui nous paraissent
> bizarres sont bien celles du texte de Pierre Sizaire.
>
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