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De Saint-Malo à Saint-Mary's : l'occasion de gérer quelques situations difficiles...    
11 messages du 18/07/2000 au 30/07/2000    

 1 - De Laurent Barme le mardi 18 juillet 2000 à 02:00 
 
Bonsoir à tous,

Je rentre d'une navigation entre Sain-Malo et Saint-Mary's aux îles
Scilly (49° 55' N ; 6° 19' W) effectuée du 1 au 14 juillet dernier
dans des conditions météo pas très favorables.

Ce fut l'occasion de quelques expériences, avec, entre autres, par
odre chronologique :
1) perte des clés du moteur, à la dérive par vent très faible et
courant fort vers des cailloux,
2) utilisation d'un détecteur de radar pour une traversée de la
manche,
3) organisation du rapatriement sanitaire d'un équipier depuis
l'angleterre (Salcombe pour être précis),
4) panne du circuit de refroidissement du moteur,
5) valeur relative des informations des cartes et documents nautiques
les plus récents et talonnage nocturne à l'entrée du port de
Saint-Mary's,
6) abri précaire des Scilly par force 8,
7) qualités marines de l'Ovni 36 sur une mer forte (environ 4m de
creux) par force 7 entre les Scilly et Falmouth,
8) navigation dans les zones d'exercices de tirs,
9) problème de navigation à l'estime,
10) interception par les douanes françaises par force 6 et mer forte.

Je vous propose de détailler les sujets ci-dessus qui vous
intéressent.

Sinon, nous avons aussi eu l'occasion d'admirer des dauphins et des
marsoins qui sont venus nous faire un brin de conduite en mer, de voir
les phoques des Scilly (depuis un bateau de promenande pour touriste
local), de nous régaler au Mermaid, de faire le tour de St-Mary's en
vélo, de déguster de délicieux cream teas, de jouer sur la palge, etc.
Et l'équipage a aussi pu visiter Tresco et son jardin merveilleux...

Bonnes navigations à vous,

lb
 
 2 - De Laurent Barme le vendredi 21 juillet 2000 à 02:00 
 
Samedi 01/07/00, 17:45, au large de Saint-Malo, juste au nord de la
tourelle des Courlis : perdu les clefs du moteur !

Après une matinée passée, pour moi, à vérifier le bateau et son
équipement dans les détails tandis que le reste de l'équipage
remplissait 3 caddys à la gande surface de "la découverte", nous avons
pu quitter le port des bas Sablons vers 16:30. La première destination
n'est pas très ambitieuse : aller passer la nuit sur la plages des
Hébiens...

Ce jour là 17:45, c'est 2 heures avant la pleine mer d'une marée de 95
(pile poil une vive-eaux moyenne, ça simplifie les calculs :-).
Au nord des Courlis, le courant est encore de 2.3 nds, exactement dans
la mauvaise direction et le vent tombe. 
Bon, il faut quand même arriver avant la nuit pour séchouer
sereinement ; moteur donc.

Tiens, les clefs ne sont pas à coté de la table à carte, ni dessous  !
Aïe, mais où sont-elles ? Normalement, je les range là dès que je
coupe le moteur, juste avant de l'indiquer sur le livre de bord.
Au bout de 15 minutes de fouille, j'invite tout l'équipage à les
chercher (sauf le barreur).

Un doute affreux : les aurais-je laissées dans ma poche ? Elles
seraient alors tombé à l'eau lors des manoeuvres laborieuses pour
hisser la grand voile ? Un équipier se rapelle justement d'avoir
entendu un "plouf"... (celui là, c'est le modèle de l'équipier doué
pour compliquer les situations, heuresement qu'il ne reste que 2 jours
avec nous ! Mais même après son départ, on aura encore des surprises
grâce à lui).

Refouille : il y a un trou, juste à coté de la table à carte. Avec les
mouvements du bateau, les clés aurait pu tomber entre la coque et le
vaigrage. Je cherche à voir en dessous : je ne trouve rien.

Au bout d'une demi heure de recherche infructueuse, il ne reste plus
que la solution des clés dans la poche, tombés à l'eau. Honteux,
j'apelle le portable du loueur pour savori s'il serait possible de
revenir chercher un double à Saint-Malo.  Evidemment, je n'ai que la
messagerie vocale.. Ca commence bien : un problème dès le premier jour
pour quelqu'un qui prétend aller jusqu'aux Scilly... Je ne suis pas
fier.

Je recherche encore, je démonte le vaigrage, je soulève les planchers
: pas de clés.

Dong, Dong, on entend le tintement discret de la cardinale ouest qui
annonce le pavé du Bunel. L'équipage s'inquiète : le courant nous
porte dessus. Et Cézambre se rapproche... ses lames de granit face au
large ne correpondent pas vraiment à la description de la belle plage
des Hébiens.

Et si... 

J'essaye une lame de mon couteau outils multiples à la place de la clé
: contact, moteur : soulagment.
J'essaye la même lame sur le cadenas du moteur de l'annexe, ça l'ouvre

Bon, on peut continuer la croisière, il sera juste impossible de
fermer la porte de la descente.

18:34 : clés retrouvées : au fond du placard sous la table à carte !
Elles sont bien tombées dans le trou, à droite de la table à carte.

Ce que j'ai appris :
- un bateau à voile privé de moteur, c'est pire qu'un bateau à moteur
en panne quand il n'y a pas de vent,
- on a quand même très largement le temps de réagir avant que ce ne
soit dramatique,
- les clés sur un bateau, c'est facultatif si on a un couteau :-)
- les cadenas sont là juste pour décorer,
- il faut se méfier des trous à cotés de la table à carte.
 
 3 - De Laurent Barme le samedi 22 juillet 2000 à 02:00 
 
Juste après ma location, le propriétaire du bateau que j'ai loué pour
traverser la Manche a prévu de traverser l'Atlantique. Il a donc
commencé à préparer son bateau en conséquence et j'étrenne une (toute
petite) partie de son nouvel équipement, dont un détecteur de radar...

A part un capteur en haut du mat, cela se présente comme une petite
boite noire d'environ 15x10x5 cm. Sur la face avant, il y a un
contacteur à trois positions :
- éteint
- demi sensibilité,
- sensibilité complète.
A coté, il y a un bouton permettant d'ajuster la sensibilité d'une
manière continue (comme le volume d'un ampli).
Sinon, il y a 5 diodes, 4 rouges et une jaune.
La jaune est placé sur le dessin d'un cargo, au niveau de son radar.
Les 4 rouges sont disposés dans les 4 secteurs délimités par une
croix, comme ceci :

     |
   0 | 0
     |
  ---+---
     |
   0 | 0
     |
Quand on l'allume, cela fait beep sur un ton nasillard et strident et
les 5 diodes s'allument.
Ensuite, dès que le détecteur perçoit un radar, la diode jaune
s'allume et l'une des diodes rouges s'allume ensuite pour indiquer si
le radar est capté en avant/arrière babord/tribord. A chaque fois
qu'une diode s'allume, ça beep.

En pratique, au port, ça beep et clignote dans tous les coins.

J'étais quand même heureux d'avoir cet équipement à bord pour ma
première traversée de la manche. Je me faisais pas mal de souci au
sujet du croisement des cargos au large, surtout de nuit.

En fait, cela n'aura pas été très utile.

Le beep strident est très sonore quand on le met en marche. Ne sachant
pas quel est sa consommation électrique, je ne laissait pas l'appareil
allumé. Et j'avais quelques scrupules à l'allumer de temps à autres
pour ne pas perturber le sommeil des équipiers hors quart.

J'ai quand même fait quelques essais.

Par moment, aucun radar n'était détecté, sinon la détection commençait
bien avant que l'on voit quoique ce soit sur l'horizon.
Tout près d'un seul gros "paquebot à voile", l'appareil détectait un
radar dans les 4 directions !
Une fois le bateau croisé, le radar est toujours détecté, donc
l'appareil ne fait pas le tri sur la base d'une analyse de route de
collision potentielle, de rapprochement ou d'éloignement.
Il n'est pas possible d'acquitter une alarme ; cela continu à beeper,
pour rien.

Personnellement, je trouve cet appareil trop sensible et pas assez
précis. On est averti de la présence d'un radar avant de voir quoique
ce soit, même par temps calme, mer belle et très bonne visibilité. A
part la direction générale, on a aucune information sur le danger
potentiel associé au radar détecté. On ne peut donc rien décider sur
la base de l'information fournie.

Pour finir, on croise plusieurs dizaines de cargos en traversant la
Manche, parfois par paquet de 10 à la fois, il y en a partout sur
l'horizon. Mais ils évitent très bien la trajectoire imprécise des
voiliers. Je n'ai eu qu'une seule manoeuvre à effectuer et encore je
ne suis pas sûr qu'elle ait été indispensable. Garder un cap aussi
stable que possible me semble la meilleure stratégie, tout en veillant
l'horizon bien sûr...

Sur une traversée de la Manche par temps variable (mer peu agité,
force 5 max), un tel appareil ne me semble pas très judicieux. Mais
peut-être que par gros temps, sur l'atlantique, cela doit être utile ?

lb.
 
 4 - De Laurent Barme le samedi 22 juillet 2000 à 02:00 
 
Mon projet, dans l'idéal, était d'aller directement aux îles Scilly
pour avoir un maximum de jours à passer sur place. En cas de
difficulté, j'avais quand même prévu d'atterrir au plus court sur la
côte de Cornouailles.

C'est ce qui arriva et nous avons aterri à Salcombe. Après 26 heures
et 45 minutes de navigation depuis Saint-Quai-Portrieux, nous avons
pris un coffre dans ce magnifique port naturel à 21:50.

J'ai particulièrement bien dormi, sans acun souci. Mais cette nuit là,
mon père (74 ans) a passé une nuit blanche à souffrir le martyre. Ce
mardi 04/07/00, à part la météo, le livre de bord se résume à : 

8:20 : équipier malade ; organisation de son rapatriement sanitaire,
contact avec son organisme d'assistance.

Il fallait vraiment qu'il ait souffert pour m'annoncer le matin qu'il
devait nous quitter et qu'il souhaitait rentrer chez lui pour se faire
soigner. Bien qu'il soit un membre clé de mon équipage, je n'ai pas
cherché à le retenir. Toujours au coffre, avec mon téléphone portable,
nous avons appelé son assistance. Malgré que mon père soit médecin
lui-même, il fallait l'avis d'un médecin sur place pour que son
rapatriement soit pris en charge.

Nous avons tous débarqué à terre par le taxi du port. Pendant que le
reste de l'équipage en profitait pour prendre une douche bienvenue
après la grande traversée de la veille, nous avons cherché un médecin.
La capitainerie nous a indiqué le centre de soin (health center) de
Salcombe, auquel il a été possible de se rendre à pied. Là, nous avons
attendu toute la matinée. Vers midi, mon père a pu se faire enfin
examiner par un médecin anglais et nous avons pu rappeler l'organisme
d'assistance pour leur donner ses coordonnées.

Nous sommes retournés à bord pour permettre à mon père de s'y reposer.

Après de nombreux appels rendus difficiles par une liaison aléatoire
avec le réseau de téléphonie mobile depuis Salcombe, nous avons eu la
confirmation de la prise en charge du rappatriement de mon père. Ils
ont très vite décidé de le faire transporter en avion jusqu'à Paris,
depuis Plymouth. Mais il aura fallu attendre jusqu'au soir, en
rappelant régulièrement, pour se voir fixer un rendez-vous le
lendemain à 7:30 à la capitainerie du port de Salcombe avec un taxi
pour faire le trajet entre Salcombe et Plymouth.

Le médecin anglais avait prescrit un médicament efficace pour soulager
mon père en attendant qu'il puisse se faire hospitaliser. Nous l'avons
débarqué le lendemain matin au ponton de Salcombe à l'heure pour le
rendez-vous avec le taxi et le reste de son voyage de retour en France
aura été confortable.

Ce que je retiens de cette histoire :
- en croisière, on peut aussi se voir confronter à des problèmes sans
rapport avec la mer ou la navigation,
- avec un organisme d'assistance, on ne peut pas compter sur un
rappatriement rapide et efficace, du moins pas quand la situation
n'est pas présentée comme désespérée,
- pour organiser un rapatriement sanitaire, il ne suffit pas d'être
arrivé dans un port, encore faut-il qu'il soit bien déservi par les
transports en communs, et pourvu d'un médecin avec lequel on puisse
avoir un rendez-vous rapidement : en cas de décision de ce genre prise
en mer, il est important de bien choisir son port pas seulement pour
sa proximité,
- nous aurions eu le temps de nous rendre à Plymouth par la mer
pendant que l'organisme de rapatriement organisait le transport en
taxi ; je n'ai d'ailleurs pas compris pourquoi ils ne nous ont pas
laissé prendre un taxi par nous même, il n'ont même pas fait appel à
une ambulance,
- les contacts avec l'organisme de rapatriement par téléphone portable
ont été très couteux (près de 400 F),
+ le médecin de Salcombe qui nous a reçu a été très compétent,
accueillant et efficace, tout comme les autres anglais que nous avons
rencontrés à Salcombe,
+ la consultation d'un médecin en Angleterre est totalement gratuite
pour un français, sans formulaire préalable à préparer avant le
voyage,
+ les médicaments prescrits par le médecin sont fournis gratuitement
par le pharmacien, sans ticket modérateur ni carte de mutuelle à
présenter,
+ un téléphone portable, utilisable dans le pays visité, est un outil
précieux pour les situations d'urgences rencontrées à terre.

lb
 
 5 - De Laurent Barme le dimanche 23 juillet 2000 à 02:00 
 
Le port de Salcombe est installé dans un magnifique abri naturel. Ce
n'est curieusement pas un estuaire ; aucun fleuve ne s'y déverse. Ce
n'est pas non plus une marina moderne : il n'y a pas de ponton d'où
l'on peut débarquer ou embarquer à sa guise. Une dizaine de coffres
jaunes sont réservés aux visiteurs. Nous sommes installés sur le V4,
le plus proche de la charmante petite ville nichée sur une colline
verdoyante.

Mercredi 05/07/00 6:35 : la météo de la BBC annonce un W devenant V
3-4. Pour nous qui souhaitons aller à l'W justement, c'est une météo à
faire une grasse matinée sans scrupules. Mais je dois débarque mon
père qui a rendez-vous à 8:30 avec un taxi à la capitainerie pour la
première étape de son rapatriement en France.

6:55 la météo diffusée en accéléré sur Radio-Bleu prévoit aussi un W
2-3, devenant V 1-3 la nuit prochaine.

7:30 je sors des toilettes ; la pompe est bloquée. Curieusement c'est
au niveau de l'admission que ça coince. Je vais devoir la démonter et
je ne pourrai même pas me défouler sur un équipier fautif.

8:10 moteur, un coup d'oeil au pot d'échapement, ça crache, tout va
bien.

8:15 on largue le coffre. Nous sommes à 2:20 avant la pleine mer d'une
marée de 96. Le courant qui rentre est encore très sensible : 1.2 nds
au 35 d'après les informations portées sur la catre 5602-9 de
l'Admiralty.

A 8:15, il y a environ 3.60 m de hauteur d'eau à Salcombe. Mais le
ponton d'accostage temporaire mis à la disposition des plaisanciers
est bordé de haut fond de vase cotés 1.80 m au dessus du zero des
cartes. Avec nos 2.05 de tirant d'eau, je ne dois pas trop m'écarter
du chenal d'accès au ponton !

Je vais aussi en profiter pour faire le plein d'eau. Le bouchon de
remplissage du réservoir est à tribord. Pour ne pas avoir a manoeuvrer
dans l'étroit chenal, j'opte pour une approche et un accostage du
ponton en marche arrière.

Les 18 cv de notre Ovni 36 ne sont pas de trop pour inverser les 6 T
de son erre et lutter contre le courant. Je mets en arrière toute.
Hola ! ça ne résonne pas comme d'habitude. Coup d'oeil au pot
d'échapemment : juste une fumée bleue, pas une goutte d'eau. Il y a
une panne dans le circuit de refroidissement ! :-((

En serrant les dents, je termine la manoeuvre à sec. Il s'agit de la
réussir du premier coup. A 8:20 nous sommes amarés au ponton
temporaire. Le moteur est aussitôt coupé. L'alarme n'a pas sonné : il
n'y a pas eu de surchauffe.

8:30 mon père prend son taxi comme prévu. 

Il y a des jours où tout semble se liguer contre vos projets. Mon père
est gravement malade. Je perd le médecin du bord, un équipier clé,
insensible au mal de mer, serein même par force 10, mon meilleur
barreur, celui du spi ou des voiles en ciseaux au vent arrière, celui
qui sait garder un cap à 3° près sur un quart de 4 heures. J'ai une
panne de refroidissment du moteur. Je suis amarré sur un ponton où je
suis sensé ne rester qu'une heure. Et, cerise sur le gateau de mes
emmerdements, la pompe des WC est bouchée.

Pour accéder au moteur, je retire l'échelle de la descente et le capot
en dessous. Le filtre est sale. Je le nettoie. Essai du moteur :
toujours un refroidissement sec. Très peu d'eau est aspirée par la
pompe dans le filtre. Celle-ci serait-elle cassée ?

En attendant que le moteur refroidisse, je démonte la pompe des WC.
Elle est propre au niveau du corps principal. Je démonte le corps
d'admission : il est bouché par des algues fines et compactes. C'est
vrai que de très nombreux paquets d'algues de ce type flottent à la
surface dans les eaux du port de Salcombe. Il y a de forte chance pour
qu'il y ait le même problème au niveau du circuit de refroidissement
du moteur. Je remonte la pompe des WC. Elle fonctionne à nouveau. Un
problème de moins.

Je démonte le tuyau d'arrivée d'eau au niveau du filtre du circuit de
refroidissement du moteur. Je souffle dedans, c'est effectivement
bouché, vraisemblablement au niveau de la prise d'eau. Pas question de
démonter cette dernière.

Peter, l'un des 3 équipiers restant (les deux autres sont ma femme et
mon fils de 6 ans) a une bonne idée : utiliser la pompe à main pour
chasser les algues vers l'extérieur. Mais cela ne suffit pas.

L'eau du port est à 15°C d'après la centrale de navigation.
Heureusement j'ai un équipement "de plongée" : une paire de palmes, un
masque et un tuba vieux d'une vingtaine d'années, une vieille
combinaison de planche à voile de seulement 6 ans, et une cagoule de
plongée quasi neuve.

Je plonge sous la coque armé d'un cintre métallique transformé en
petit crochet. Tandis que Peter continue a envoyer de l'eau à l'aide
de la pompe à main, sous l'eau, je tire sur les algues coincées dans
la prise d'eau à l'aide de mon petit crochet improvisé.

A l'occasion d'une remontée à la surface pour respirer, je me fais
héler par le maitre du port. Je sais que cela fait plus d'une heure
que je suis amarré au ponton temporaire et je lui explique mon
problème et que je fais de mon mieux pour partir au plus vite. Mais en
fait, il est interdit de plonger à cet endroit pour des raisons de
sécurité...

Très compréhensif, le maitre du port me demande alors de rester près
du ponton, le temps qu'il m'envoie un bateau du port pour assurer ma
surveillance. L'eau est froide, même avec la combinaison. Une vedette
à moteur, barrée par une charmante demoiselle arrive enfin. Et je
retourne sous la coque.

Finalement, nous arrivons à déboucher le circuit de refroidissement
par cette manoeuvre. Nous remontons le tout et, ça marche !
Heureusement, la pompe elle-même n'a pas été abimée.

Nous faisons le plein du réservoir d'eau douce. Je prends une douche
au tuyau du ponton pour me rincer des eaux du port. Une tasse de thé
chaud m'attend à bord.

10:30 Nous sortons du port de Salcombe, cap à au 290, au près barre
bloquée.

La croisière vers les Scilly continue.

lb
 
 6 - De Laurent Barme le mardi 25 juillet 2000 à 02:00 
 
Vendredi 07/07/00 vers 2:30. Il fait nuit noire. La lune est âgée de
seulement 5 jours et les 29% de sa surface visible sont de toutes
façons masqués par les nuages. La visibilité horizontale est malgré
tout très bonne. La mer est calme, le vent léger.

Les voiles sont affalées depuis l'approche finale de l'archipel des
Scilly. Nous naviguons lentement au moteur. A part Louis qui dort
paisiblement dans son immense couchette double au regard de son petit
gabarit d'un enfant de 6 ans, tout le monde est sur le pont.

Après avoir pris ce que je croyais être l'alignement de l'entrée du
port de Saint-Mary's, j'ai laissé la barre à Peter et je suis
redescendu à la table à carte pour tenter de comprendre ce paysage
lumineux qui ne correspond pas du tout à celui que j'attendais.
L'entrée de ce port est objectivement simple. J'en ai négocié, de nuit
aussi, de beaucoup plus complexes. Mais je ne comprends pas ce que
c'est que ce feu rouge à éclat qui semble provenir d'une bouée
inexistante sur la carte ni ce que c'est que ce feu blanc scintillant,
apparemment derrière les bateaux au mouillage. J'ai plusieurs phares
blancs, lequel est celui du bout du môle ? Enfin, j'ai bien mon
alignement d'entrée rouge sur rouge mais j'ai comme un doute.  Le
compas de route tribord indique un peu plus de 90, disons 92. Bon
l'alignement est au 97, avec les 5 degrés de déclinaison, c'est
cohérent ; et puis ces deux compas de route sont très mal compensés,
ils diffèrent d'au moins 5°. Enfin, puisque le GPS est maintenant
précis à quelques mètres près, je vérifie ma position sur la carte :
je suis bien en train de rentrer par le bon chemin dans le port.

Peter : "La profondeur diminue."
Laurent : "C'est normal."
Marie-Françoise (à coté de Peter) : "6 mètres !" (avant, nous avions
plutôt 15 mètres).
Laurent : "OK, c'est bon".
Marie-Françoise (un rien tendue) et Peter (parfaitement calme, comme
d'habitude) : "5 mètres ! 4 mètres".
Laurent : "Ralenti !"
Peter : "3 mètres."
Laurent : "POINT MORT !"

Je fonce reprendre la barre. Croyant être au-dessus du pavé de Bacon
Ledge, à gauche de l'alignement, j'embraye et je mets la barre à
tribord toute, pour faire demi-tour. Une hirondelle vient voler au ras
de la coque, éclairée par le puissant feu de pont. C'est bizarre comme
ce détail m'a marqué. Sans cette situation stressante, cette
hirondelle aurait été un ravissement.

Malgré sa dérive basse, 2.05 m au-dessous de la surface, notre ovni 36
fait demi-tour en un large cercle : ce genre de bateau est loin de
pouvoir pivoter sur place. Le bout du môle de Saint-Mary's me paraît
étrangement proche. Les fonds remontent toujours, et de plus en plus
vite. 
2.00 m ! "Merdmerdmerde, Peter, remonte la dérive !"
1.90 m, 1.80 m, 1.70 : Klonk ! Nous avons heurté un rocher !
1.60 m, 1.50 m, je remets le moteur au point mort et je me précipite
sur la pompe du vérin du safran, située juste à coté de moi, dans le
coffre arrière tribord. Shhhhhh, klonk, klonk : il y a du sable et des
rochers. 
Peter est toujours en train de remonter la dérive.
1.20m, 1.10 m, 1.00 m. A la lumière de la lampe torche du bord, nous
apercevons des laminaires dans l'eau transparente et tranquille. Leurs
gracieuses extrémités ondulent à la surface.
Le bateau semble s'être immobilisé.

Sans doute pressée de se recoucher car elle avait fini son quart à
minuit, Marie-Françoise suggère de s'échouer simplement sur place.
Mais la météo a annoncé un force 6 pour l'aube et de toutes façons,
je ne souhaite pas vraiment m'échouer sans savoir où je me trouve ni
ce que j'ai dessous. Malgré la mer qui descend encore rapidement (nous
sommes à environ 2 heures 30 de la marée basse), le bateau se libère.
Je remets le cap au large et la profondeur retrouve rapidement une
valeur confortable. Je descends le safran et Peter la dérive.

C'est la première fois que je talonne. Intérieurement, je suis
meurtri.

J'avais pourtant parfaitement maîtrisé l'approche sur le phare de
Peninnis Head, l'entrée dans Saint-Mary's sound, le coutournement de
l'île, le passage entre Saint-Mary's et Cugh avec la bouée lumineuse
rouge de Bartholomew Ledges comme seul point de repère en gardant sur
elle des relèvements constants, avant puis arrière, malgré les
courants. Nous étions presque arrivés, le champagne nous attendait
dans le réfrigérateur. Et, si près du but, il a fallu que je
talonne...

Je remets le cap sur le port. Marie-Françoise est à l'avant, avec la
lampe torche à la main. Peter est à la hauteur des haubans pour
relayer l'information. Cette fois-ci, c'est au jugé, sans trop tenir
compte des feux du port, que je parviens à atteindre la zone des
coffres visiteurs. Malheureusement, le seul qui soit libre et
accessible est celui qui est réservé à la douane. Je ne trouve pas un
endroit satisfaisant pour jeter l'ancre.
Je refais demi-tour vers le large.
Pour finir, nous irons mouiller au centre de Saint Mary's Road, par
9.60 m de fond (de sable de bonne tenue ;-), sur toute la chaîne et
bien 20 m de câblot.

Louis dort toujours. Nous ne boirons pas le champagne ce jour là. Je
passe le reste de la nuit à veiller et surveiller les alignements pris
pour contrôler le mouillage. Le bateau bouge beaucoup, ne sachant que
choisir entre le vent et les courants. Le force 6 annoncé nous tombe
dessus, comme prévu.



Je ne suis pourtant pas arrivé aux Scilly, de nuit, les mains dans les
poches. C'était une éventualité que j'avais préparée. J'ai la carte de
l'Admiralty SC 883 (édition 2000) au 12500 ème. Il n'y a rien de plus
précis ni de plus récent. J'ai aussi la dernière édition du guide
Imray rien que sur les îles Scilly. Pour la côte sud de la
Cornouaille, j'ai aussi l'excellent guide de Mark Fishwick : "West
Country Cruising", (dernière édition) qui contient un chapitre complet
sur les Scilly. Naviguant souvent dans des endroits que je ne connais
pas d'avance, je suis un maniaque des documents les plus précis et les
plus récents qui existent. J'ai ces documents depuis plusieurs mois et
je les ai étudiés soigneusement (ça fait aussi parti du plaisir de la
croisière). Enfin j'avais préparé à l'avance les calculs de marées et
de courants de cette zone, entre autres.

En fait, il y avait bien une nouvelle bouée qui ne figurait pas sur ma
carte, installée seulement depuis 2 jours. Et l'alignement rouge sur
rouge a été remplacé par un alignement rouge sur blanc scintillant
plus rouge (masqué par le blanc pour ma mauvaise vue du moins). En
cherchant bien, on trouve un petit paragraphe dans le guide Imray qui
évoque des modifications des feux de l'entrée du port de Saint-Mary's
mais même là, les informations sont incomplètes et inexactes. Et à
2:30 du matin, j'avais complètement oublié l'existence de ce
paragraphe.

En analysant tranquillement à froid les causes de ce talonnage à
l'entrée de Saint-Mary's, je n'ai pas seulement été trompé par des
informations fausses. J'ai aussi commis plusieurs erreurs : 

1) Il ne faut pas arriver de nuit pour la première fois aux Iles
Scilly : 
Tout le monde me l'avait déconseillé. J'étais parti de Falmouth de
manière à profiter de courants favorables pour passer Lizard Point et
arriver à l'aube. En naviguant de nuit, Louis dormirait
tranquillement. Je me disais que je ralentirai si besoin ou même que
je ferai des ronds dans l'eau en attendant le lever du soleil. Mais le
vent était plus fort qu'annoncé et nous avons été beaucoup plus vite
que prévu. Quant à ralentir dans une zone de séparation du trafic, en
fait ce n'est pas réaliste. Pas plus que de faire des ronds dans l'eau
de nuit à 1:30 du matin au large des Scilly avec un force 6 annoncé au
petit matin.

2) Il ne faut pas vouloir prendre un coffre de nuit à Saint-Mary's : 
J'aurai bien mieux fait d'aller directement au mouillage dans
Saint-Mary's road. Même par force 6, une bonne ancre, ça tient.

3) Il ne faut pas suivre un alignement incertain : 
Quand j'ai découvert "l'alignement" que j'avais suivi, j'ai viré au
vert : le feu arrière du véritable alignement par le phare du bout du
môle, en plein dans son secteur rouge ! Je courais droit à ma perte.
Quant aux autres phares blancs, c'était des lampadaires... (il y a
d'ailleurs un superbe lampadaire juste au niveau du phare en question,
un peut pâle en comparaison). J'aurais pu le deviner : le phare à un
éclat toutes les 2 secondes, pas les lampadaires.

4) Il ne faut pas vérifier un alignement sur le compas de route :
Il faut le faire avec un compas de relèvement (comme je l'avais fait
sur Bartholomew Ledges). En plus, les 5° de déclinaison s'ajoutent et
ne se retranche pas : apparemment, à 2:30 du matin, je ne sais plus
compter. Et de toutes façons, avec les courants, on avance en crabe,
alors les compas de route, ce n'est décidément pas fait pour les
alignements. Mais je le savais déjà ça !

5) Il ne faut pas oublier de corriger les valeurs du GPS quand on s'en
sert au 100ème de minute près :
Même 0.04 minutes seulement, cela fait quand même 74 mètres d'erreur,
à rajouter à l'imprécision...

6) Il ne faut pas se mettre dans une situation complexe à 2:00 du
matin, après 12 heures d'une navigation stressante :
Au moins pour ce qui me concerne : il est clair que je ne raisonne
plus très bien dans ces conditions.

Pour finir, en virant à tribord quand la profondeur a diminué, j'ai
aggravé la situation sans le savoir. Sinon, heureusement que le
sondeur était réglé avec un pied de pilote de 30 cm et que les
courants nous ont dégagés des rochers plutôt que de nous y coller.


Le lendemain, en plein jour, nous sommes allés prendre un coffre sans
problème. Le plus dur aura été de relever l'ancre avec le vent fort :
une demi-heure d'effort violent malgré le guindeau manuel. Après avoir
récupéré un peu de cette nuit difficile, j'ai de nouveau plongé sous
le bateau pour y trouver juste quelques éraflures à la base de la
dérive. C'est vrai que l'ovni est conçu pour s'échouer.

Bien entendu, le talonnage est mentionné sur le livre de bord et le
loueur en a été avertit. Lui aussi est allé voir sous le bateau et a
pu confirmer mon observation.

lb.
 
 7 - De Laurent Barme le mercredi 26 juillet 2000 à 02:00 
 
Dans son guide sur la Cornouaille, Mark Fishwick cite les autorités
portuaires :

"Le port de Saint-Mary's est réputé pour les yatchs qui chassent sur
leurs ancres pendant les coups de vents, en particulier quand le vent
souffle du nord-ouest... si les conditions météorologiques se
dégradent quand vous êtes dans le port, pensez à chercher un autre
abri de bonne heure."

J'ai pu vérifier personnellement que ces informations là sont
parfaitement exactes et tout à fait à jour en plus.


En partant de Falmouth pour les Scilly le jeudi 06/07/00 après midi,
les prévisions pour les jours à venir étaient acceptables :
essentiellement du NW 3-4, parfois 5, jamais pire que 6. Arrivé le
vendredi matin, j'étais près à partir le soir même si le temps se
dégradait.

Mon objectif personnel était d'aller jusqu'aux Scilly, et d'en
revenir... Celui de Louis étais de voire des phoques dans leur milieu
naturel. J'avais vanté à Marie-Françoise le jardin de l'abbaye de
Tresco. Peter voulait plus particulièrement visiter Polperro mais ce
n'était pas initialement au programme.

Vendredi matin la météo annonçait pour le jour même :
matin : N-NE 3-4, 5 au large des Scilly, 
après-midi et nuit : NW 3-4 (localement 5),
et pour le lendemain :
matin : NW 3-4 (localement 5),
journée : W-SW 5-6
nuit : NW 5-6

Aussi, dès le vendredi matin, Pendant que le reste de l'équipage se
reposait, Louis et moi nous nous sommmes précipité sur la première
excursion annonçant des phoques au programme.

Mon barographe, à 1020 le matin, est monté régulièrement pour
atteindre 1030 à minuit.

J'allais annoncer à l'équipage que nous partirions dès le lendemain
matin. Cela nous permettrait de faire des petites navigations le long
de la Cornouaille, de visiter Polperro et de rentrer en France en
passant par Jersey. Avec un équipage réduit à deux barreurs dont un
seul "tout temps", cela me paraissait plus prudent.

Mais une excellente nouvelle est venu contrarier mes projets. Mon père
avait pu se faire soigner très rapidement. Le médecin qui l'a traité
connaissait les Scilly et lui a dit qu'il ferait bien de nous y
rejoindre au plus vite. Ce jour là, il a passé son temps à chercher la
solution la plus rapide pour nous rejoindre. Nous sommes donc restés à
Saint-Mary's et le soir, nous avions rendez-vous avec lui le lendemain
entre 14:00 et 15:00 à la capitainerie du port. Il n'a pas voulu me
dire le coût de son voyage jusqu'aux Scilly en transport en commun
mais il m'a quand même avoué que c'était nettement supérieur à sa
participation pour les 15 jours de croisière, tous frais compris. 

D'un coté, j'étais un peu ennuyé de ne pas pouvoir partir avant
dimanche avec une situation météo instable : du 1035 au S, du 995 au
nord, soit 40 hpa de potentiel pour un vent fort.
De l'autre, j'étais bien content de récuperer un deuxième barreur
"tout temps" et encore plus de savoir mon père suffisament en forme
pour nous rejoindre.

Samedi soir nous étions toujours sur le coffre que nous avions pris
depuis la veille. A la BBC, la météo annonçait un W-SW 5-6, 7 ensuite,
"peut-être" 8. Depuis 9:00, mon barographe enregistrait une chute très
net de la pression atmosphérique. Le vent soufflait de plus en plus
fort.

Dimanche 09/07/00 au matin, quand le maître du port est venu récolter
ses £10 (il le fera même au plus fort de la tempête !), j'ai demandé
si je pouvais aller m'échouer sur la belle plage de Porth Mellon. Ce
n'est pas permis. Mais par contre, il m'a autorisé à aller me mettre
le long du quai.

C'était de toutes façons une excellente idée de quitter ce coffre,
mais pas si facile. Moteur à fond, nous n'avons même pas atteint les 3
nds face au vent. Et l'arrivée le long du quai, avec le vent
traversier fut très laborieuse. Mon livre de bord me rappelle qu'une
heure s'est écoulée entre le largage du coffre et la fin de l'amarage
à quai.

A 12:20, l'anémomètre en tête de mat annonçait 36.2 nds. Le barographe
en était à 1007 et descendait toujours.

Bien que protégé du vent d'ouest perpendiculaire au quai, notre ovni
36 n'en gîtait pas moins rien que par la pression du vent en tête du
gréement. La surface de l'eau autour du bateau était lisse mais
parcourrue de risées violentes et très rapides.

A 14:53, j'ai relevé sur mon livre de bord la valeur max de
l'anémomètre en tête de mat : 39.2 nds.

Même si le bateau bougeait sensiblement sous l'effet de la houle qui
rentrait dans le port, nous étions de toute évidence à la place la
plus confortable. L'équipage pouvait débarquer à sa guise grâce à
l'échelle sur laquelle nous étions centrés. Le vent se chargeait
d'écarter le bateau du quai, si bien que les pare-battages amortissait
simplement les retours sur les deux épaisse poutres de bois placées le
long de l'échelle. Les seuls inconvénients de cet emplacement étaient
pour moi, jour et nuit, d'avoir à régler les amarres en fonction de la
marée, prévenir leur ragage et surveiller l'échouage possible à marée
basse. Bref, c'est une place que je recommande.

Les touristes et les marins des autres bateaux coincés par la tempête
étaient nombreux à passer sur ce quai. Les touristes nous regardaient
avec curiosité. Ils devaient se sentir bien heureux de dormir à terre.

Il y avait en gros trois types de marins : ceux des coffres, ceux
mouillés à Porth Cressa et nous plus un autre français lui aussi à
quai, en solitaire sur son Etap 22.

Les plus malheureux étaient certainement ceux des coffres. Ils étaient
visiblement très secoués. Vu du quai, les quelques annexes encore
ammarées derrière les bateaux disparaissaient de la vue dans les creux
des vagues qui régnaient dans Saint-Mary's pool. Même les plus gros
bateaux tangaient suffisament fort pour que leurs étraves sortent de
l'eau et retombent dans une gerbe d'embruns. Les acalmies à marée
basse étaient mises à profit par les marins des coffres pour
débarquer, sentir la terre ferme sous les pieds, prendre une douche
d'eau douce à la capitainerie, se sentir propre et reprendre une
douche d'eau salée en retournant à bord. Parfois un bon repas pris
dans un des très bon restaurant du port, bien arosé lui aussi, devait
leur rendre le retour à bord moins déprimant. L'un des marins sur
coffres m'a dit qu'ils avaient vu leur anémomètre dépasser les 41 nds,
le début de la plage du force 9. La nuit du 9 au 10, l'un des bateaux
sur coffre a rompu ses amares et est venu séchouer sur la plage,
évitant miraculeusement les autres bateaux et choisissant tout seul
une zone d'échouage sans rocher ! Son équipage étéait descendu dormir
à terre. Il y en a qui ont de la chance.

Ceux de Porth Cressa venaient aussi prendre des douches et la météo à
la capitainerie. On les voyait contempler les marins des coffres avec
la satisfaction de celui qui a fait le bon choix pour son mouillage.
Ils nous regardaient en se disant qu'on avait bien de la chance de
pouvoir ainsi débarquer sans avoir à prendre l'annexe.

Nous, nous en avons profité pour visiter l'île, faire des courses,
porter notre linge à la laverie. A chaque fois que je passais devant
Porth Cressa, je me disais qu'ils avaient bien de la chance d'être à
l'abri sans avoir besoin d'ajuster continuellement leurs amarres...

Le lendemain, le temps s'est amélioré. Mais pas question de quitter
les Scilly. La météo annonce un NW 5-6 et un 7 au niveau de Land's
End. Quant se prend un presque 9 avec un peut-être 8 annoncé, on se
méfie d'un 5-6. Mais surtout, la mer est annoncée comme forte, soit
2.5 m à 4 m de hauteur de vague moyenne. Pas question non plus de
quitter le quai pour aller se ballader dans l'archipel. C'est encore
en transport en commun que l'équipage ira visiter Tresco. Son jardin
tant vanté sera tout autant venté.

Le 11/07/00, 5 jours après notre arrivée, nous quitterons les Scilly
par un force 6 mer agitée à forte annoncé mais plutôt par un force 7
sur une mer forte à très forte.

lb
 
 8 - De Laurent Barme le samedi 29 juillet 2000 à 02:00 
 
Mardi 11/07/00, cela faisaitt 3 jours que nous étions bloqués à
Saint-Mary's par des vents de NW respectivement de force 6, 8 et 7.

Ce matin là le vent soufflait encore fort mais la météo affichée à la
capitainerie annonçait du NW 4-5, 6 "par moments" aux Scilly et Land's
End, mer agité à forte. J'ai beaucoup apprécié le "par moments".
Depuis quelques jours la météo anglaise nous avait menés en bateau
avec des prévisions pour le moins optimistes. D'après ce que je
comprenais de la carte des pressions atmosphériques, le front froid de
la dernière perturbation était maintenant bien passé mais le front
chaud d'une autre perturbation s'annonçait déjà.

Je devais rendre le bateau à Saint-Malo pour le vendredi suivant. S'il
le temps avait été impraticable, je ne serais pas parti malgré cela.
Mais 4-5, voire 6 avec un bateau de 11.80 m, c'est quand même
navigable. Par contre, si j'avais eu encore deux semaines devant moi,
je serais resté sans hésitation. 

Ce qui m'inquiètait le plus, c'était l'état de la mer qui m'attendait
entre les Scilly et Land's End. Dans cette zone, il y a nettement plus
de 120 M de fetch et certainement plus de 6 heures que le vent
soufflait à largement plus de 20 noeuds. La mer allait être forte,
c'était sûr et certain.

A mon avis, 'forte', c'est un qualificatif un peu décallé pour un
voilier de plaisance, même pour un voilier de 11.80 m. Ceux qui ont
défini l'échelle de l'état de la mer ont dû penser aux cargos, au
minimum. Forte, c'est des vagues de 2.5 m à 4 m en moyenne, et mon
mémento météo précise : "des vagues plus importantes (de l'ordre de
50%) sont observées". Heureusement, c'était une marée de 49 ce jour
là. Les courants, traversiers par rapport à notre cap, ne devait pas
dépasser 0.6 nds contre le vent...

De Saint-Mary's, il y a 37 M jusqu'à Penzance, 47 M jusqu'à Lizard
Point et 60 M jusqu'à Falmouth. Mais dès que nous serions à l'abri de
Land's End par rapport au vents de NW, cela devait aller mieux. Il
fallait faire de l'Est au maximum pour se rapprocher de Saint-Malo. Je
visai Falmouth. En gros, il y avait 30 M à faire "à découvert". Je
comptai sur une vitesse de 7 nds en surface soit un peu plus de 4
heures difficiles à passer. Pour corser un peu l'affaire, le trajet
est juste sous la zone de séparation de trafic avec des cargos à
éviter. Avec une mer forte, je ne savais pas quelle serait ma
visibilité au radar. Mais il faisait relativement beau et la
visibilité était excellente, comme toujours sous un ciel de traîne.

L'ovni 36 que nous avions est un côtre gréé en tête. Le bas étais est
approximativement au 5/8. Deux bastaques reprennent les efforts au
niveau du bas étai. Mais ces bastaques ne sont normalement pas à
poste. Elle ne sont utiles que si l'on installe la trinquette par vent
fort. Depuis notre départ, Les parties en câble des bastaques étaient
enroulées autour des bas haubans pour éviter qu'elle ne traînent. Lors
de l'inventaire du départ, j'avai réclamé une manille qui manquait
pour fixer l'un des deux palans de bastaque. Le loueur me l'avait
donnée en restant très septique sur le fait que je m'en serve et même
que j'envoie la trinquette. D'ailleurs, il ne savait pas comment on
installe les écoutes de trinquette (pour lui c'était les bras de spi
qu'il fallait prendre comme écoute pour la trinquette !). Vu l'état
neuf de la trinquette alors que le bateau a 7 ans, il est clair
qu'elle n'a pas du servir souvent :-). C'est pareil pour les palans de
bastaques. C'est en lisant les notices du bord que j'ai découvert que
la trinquette était "auto-vireuse" et que j'ai eu la solution pour
mettre l'écoute en place.

Evidemment, je n'avais pas d'expérience de gros temps sur l'ovni 36.
Alors ce matin là, au port, j'ai installé les bastaques, j'ai mis la
trinquette à poste et préparé 3 ris dans la grand-voile.

Vers midi, on a commencé à quitter la zone à l'abri sous le vent des
Scilly. La mer s'est creusé. L'anémomètre annonçait 22 nds à ce moment
là. Louis est allé se réfugier dans sa couchette. Marie-Françoise a
commencé à ressentir le mal de mer et fait de même. Au grand largue,
nous n'avançions qu'à 6.5 nds. Malgré les protestations du reste de
l'équipage, j'ai alors largué le 3ème ris et déroulé une surface de
génois sur enrouleur à peu près égale à celle de la trinquette. J'ai
aussi raidis la bastaque au vent bien sûr. 

Notre ovni 36 était très beau sous grand-voile à deux ris, avec
trinquette et un petit bout de genois. C'est sympa un côtre, ça a de
l'allure. Nous avons ainsi atteint les 7 nds en surface sur lesquels
je comptais.

Nous avons ensuite abordé la zone où la mer risquait d'être la plus
creuse. J'ai confié la barre à mon père et je me suis installé à la
table à carte pour noter notre position et méditer sur ce qui nous
attendais. Je n'y suis pas resté longtemps. Nous recevions les vagues
plus par le travers que l'arrière. Gîtant fortement dans les creux,
l'ovni 36 partait en auloffé que même mon père avait du mal à
maîtriser. Il a abattu un peu pour avoir une allure plus confortable
par rapport à la mer et s'est fait prendre sur l'autre amure...

Je ne sais plus si j'ai mis un pied sur une seule des 6 ou 7 marches
de la descente ou si j'ai fait un bond direct de 1.50 m de haut en me
tirant par les bras jusque dans le cockpit mais c'est sûr que je ne
suis jamais sorti aussi vite. 

J'ai repris la barre. Avec ses 6 T l'ovni 36 est apparemment trop
lourd pour surfer. Les vagues le couchent et semblent attraper
l'arrière pour le mettre en travers. 

Je comprends mieux pourquoi ce bateau n'a pas de pilote automatique :
il faudrait une prise de quai pour lui fournir une énergie suffisante.

Tenir la barre dans ces conditions était non seulment très technique
mais surtout très dûr physiquement. Malgré les 38 ans de moins que
j'ai par rapport à mon père, cela m'a demandé pas mal d'efforts
physiques et autant de concentration.

Sans doute qu'un régalge plus judicieux des voiles ou une meilleure
technique aurait pu rendre la situation plus facile. Mais je ne savais
pas comment faire mieux. J'ai remonté la dérive sans résultat très
flagrant. Pour finir, j'ai barré en regardant derrière moi pour
anticiper et contrôler les départs au lof.

Au sujet des 5 heures qui vont suivre, mon livre de bord devient très
laconique. Il ne contient plus qu'une position GPS relevée à la hâte
et portée sur la carte. L'un des reports est d'ailleurs faux de près
d'un mille. Je ne prends même plus le temps de relever la vitesse du
vent ni la vitesse affichée au speedomètre. Mon père qui me relayait à
la barre a ces moment là se souvient d'avoir lu 30 nds de vent réel
sur l'anémomètre. Je me rapelle d'une pointe à 8.5 nds sur le
speedomètre lors d'un unique surf sur une vague vraiment très
coopérative :-).

C'est très difficle d'estimer la hauteur des vagues. Mais quand
l'horizon devient la crète déferlante en dessous de laquelle on se
trouve, c'est que la vague est certainement au dessus de la tête de
l'observateur, soit approximativement 2.5 m à 3 m au dessus de la
surface en ce qui me concerne quand je suis debout à la barre. Je
pense que les 4 mètres de creux étaient effectivement atteint. Par
moment, une vaque plus grosse encore passait à proximité. L'une
d'entre elles nous est tombée dessus, a innondé le pont et a réussi a
se forcer un passage sous la capote pour aller innonder le bas de la
descente.

En bas, le plus impressionnant était d'entendre le craquement du
vaigrage en bois qui rendait les torsions du bateau particulièrement
perceptibles. Cela couvrait largement le bruit que Marie-Françoise
faisait de temps à autre en remplissant le sceau que je lui avai
apporté dans sa cabine. Aussi je passai régulièrement pour aller le
rincer. Paradoxalement, c'est très facile de rincer un sceau dans ce
type de temps : il n'est pas nécessaire de se pencher beaucoup pour
atteindre l'eau, le sceau glisse à la surface de l'eau et quand il
l'accroche, il revient pratiquement tout seul à bord avec l'élan qu'il
prend...

Quand je passai voir Louis, il me demandait simplement dans combien de
temps on arrivait.

J'insiste toujours pour que les équipiers hors quart se reposent.
L'incroyable Peter dormait dans la couchette avant, appuyé tour à tour
sur l'un des coussins prévus pour transformer la banquette du carré en
couchette double qu'il avait installés sur les parois de sa cabine. Le
support en bois qui sert de rallonge pour la couchette double du carré
se trouvant au vent, insistait pour se mettre tout seul en place.

J'espère avoir bien rendu par tous ces détails les conditions de
navigation et le comportement du bateau. Je n'ai sans doute pas bien
su gérer le bateau au mieux mais j'ai été surpris par son
comportement.
7.5 nds seulement, cela me paraît lent pour un bateau de cette taille
dans ce type de temps,
Je pense que les aulofées était du au fait qu'il ne surf pas
facilement.

En arrivant sur Bréhat lors de notre retour, nous avons eu le même
type de temps. Cette fois nous étions sous grand-voile à trois ris et
beaucoup plus de génois. Et malgré ce transfert du centre vélique vers
l'avant, le bateau s'est encore quasiment couché lors d'une aulofée.

Par contre, j'ai beaucoup apprécié le fait que le cockpit soit
toujours resté sec...

lb
 
 9 - De Laurent Barme le samedi 29 juillet 2000 à 02:00 
 
Auparavant, j'avais surtout navigué près des côtes. Ma plus longue
"traversée" avait été de Saint-Malo jusqu'à Guernsey. Sinon, j'étais
aussi allé au large de Cherbourg lors de l'éclipse totale.

Dans ces conditions, on navigue très bien à vue. Et à part une courte
navigation à l'estime sans GPS au large de la Rochelle par visibilité
très réduite ou une navigation à l'estime, encore sans GPS, le long
des côtes de l'Algarve, je dois dire que j'essaye de tenir une estime
plus pour m'entraîner que par nécessité. Et je me suis aussi entraîné
à faire le point au sextant plus pour la beauté du geste que pour son
utilité.

Et dire ques pour la traversée de la Manche, je me voyais déjà
naviguer à l'estime en grandeur réelle :-)))

Et bien c'est pas évident.

Je pense que ceux qui naviguaient à l'estime quand les GPS
n'existaient pas devaient se faire de ces frayeurs...

Et j'ai l'impression que c'est de plus en plus dur de tenir une
estime:

- avec le GPS, il faut vraiment se forcer pour le faire,
- l'hélice du loch est, sauf exception exceptionnelle,
_systématiquement_ bloqué sur les bateaux que je loue,
- le plus souvent, il n'a pas l'air d'être étalonné non plus,
- les compas ne sont plus compensés (quand on en a deux qui ne sont
pas d'accord de 5°, lequel est le bon ?)
- plus personne n'a l'air de vraiment savoir comment faire.

A chaque fois que je rencontre un marin qui à l'air de savoir s'y
prendre, j'obtiens une réponse évasive. La meilleure que j'ai eu, et
là je le dis sans ironie, c'est que la navigation ce n'est pas une
science, c'est un art.

Durant cette croisière, j'ai commencé par sortir la sonde du loch pour
la nettoyer soigneusement, comme d'habitude.
Ensuite, et bien j'avais tellement la pression à l'aller que j'ai
navigué simplement en relevant la position GPS régulièrement :-(

Quand je suis passé près de Lizar Point, je me suis ammusé à faire un
point au sextant, en relevant son relèvement et en mettant le sommet
de l'amer sur la mer :-). En tenant compte de la hauteur d'eau en
fonction de la marée, j'avais 1 mille d'écart sur la position GPS.
Avec le temps que j'ai mis à faire le calcul cela pourrait bien être
la distance parcourru. Mais bon, j'étais au niveau de Lizard Point, ce
n'est pas ma position à 1 mille près qui changeait quelque chose.

Au retour, me sentant déjà plus à l'aise, j'ai essayé de faire une
estime à 20 M de la côte en tenant compte des courants et d'une
estimation de la derive. Ca commençait bien, j'avais déjà 6 M d'écart
avec ma position GPS. J'ai alors pu faire un relévé de la hauteur du
soleil au sextant. Si, si, il m'est arrivé de voir le soleil, heu
d'appercevoir le soleil. Bon, ma position GPS était plus près de ma
droite de hauteur que ma position estimée, en faisant le calcul de la
droite de hauteur d'après ma position estimée. Donc le sextant permet
bien de corriger son estime. Seulement voilà , ensuite, je n'ai plus
vu le soleil, et si j'ai bien apperçu des étoiles et des planètes, il
me semble, comme je ne sais pas (encore, ça viendra peut-être) les
identifier, je n'ai pas pu calculer une autre droite de hauteur.
Il est vrai qu'en arrivant près des côtes Françaises, j'ai pu me
situer en identifiant la signature lumineuse du phare des Sept Iles.
Mais ensuite, de jour, au petit matin, en négociant le passage entre
les plateaux de Barnouic et de la Horaine, à 7 M de Bréhat, je ne
voyais aucun point de repère. Sans GPS, j'aurais été particulièrment
malheureux.

Mais comment faisait-on avant ?

lb
 
 10 - De Laurent Barme le samedi 29 juillet 2000 à 02:00 
 
Je ne sais pas pourquoi les Anglais ont décidé d'organiser leurs
exercices de tirs au Sud de la Cornouaille, ni pourquoi ils en font
justement en été. A moins que cela ne soit un pretexte pour naviguer
dans une zone magnifique ?

Toujours est-il que j'ai été confronté au problème deux fois durant
cette croisière, à l'aller, en arrivant en vue de Salcombe et au
retour en quittant Falmouth.

A l'aller, le 03/07/00 vers 16:00 j'entends sur le 16 un message
annonçant apparemment un exercice de tir en cours. Je n'ai pas réussi
à comprendre la position. Mais il faisait beau, la visibilité était
excellente. Je me suis fait aucun souci. Et quand mon équipage m'a
demandé ce que c'était que ces bruits de tonnerre, j'ai pu expliquer
qu'il y avait un exercice de tir en cours.

Au retour par contre, le 12/07/00, vers 15:00, j'entends encore sur le
16 l'annonce d'un exercice de tir. Mais on n'y voyait pas grand chose.
Et là, je me suis fait du souci. J'ai mal compris la description de la
position. J'ai cherché fébrilement dans le MacMillan & Reeds l'info
sur les zones de tir. Maintenant encore, je me rappelle que c'est à l
page 241. Et à cette page, je découvre que la description de la zone
que j'ai entendue correspond à le plus probablement ... à celle où je
me trouvait !

A ce moment là, BOUM , boum !

Heureusement, le premier BOUM, ce n'était qu'une vague qui avait
déferlé juste sur la coque. A moins que ce ne fut un choc avec une
bouée de casier que le barreur n'aurait pas éviter, ça, je ne le
saurai jamais. Le deuxième boum, c'était mon taux d'adrénaline quia
fait un bond.

Toujours est-il que je n'en menais pas large. Mais je n'ai pas osé
appeler le "war ship" par VHF :-( 

Un peu plus tard, j'ai entendu un échange entre le "war ship" et les
coast guards. Il disait qu'il restait sur la zone en espérant que le
temps leur permetrai de faire l'exercice selon les conditions
réglementaires. C'est à dire, si j'ai bien compris, qu'ils ne tirent
pas sans voir la trajectoire complète de leur tir. Ouf !

Moralité, les "zones d'exercices de tir (voir nota)" sur les cartes
c'est pas du bidon. Et il vaut mieux avoir la description des zones
sous la main pour stresser moins.

Mais bon, ils ne tirent pas sans voir ce qu'ils font.

lb
 
 11 - De Laurent Barme le dimanche 30 juillet 2000 à 02:00 
 
J'en ai déjà entendu de bonnes au sujet des douanes françaises. Par
exemple qu'ils n'hésitait pas à embarquer en pleine mer pour fouiller
les bateaux de fond en comble, montant sur les banquettes, chaussures
au pied, si l'envie leur chantait. Il faut reconnaître qu'une de leur
mission est de lutter contre les trafiquants de drogue.
Personnelement, l'idée de voir les coussins de ses derniers piétinés
ne me semble pas trop choquant. Mais une attitude similaire envers de
simples plaisanciers, c'est autre chose.

Toujours est-il que naviguant à peine plus d'une vingtaine de jours
par an, en mettant bout à bout tous les week-ends et la semaine de
croisière annuelle, je me disais qu'une rencontre avec des douaniers
ce n'était pas pour moi.

Ce jour là, le 13/07/00, un peu avant 10:00, j'étais très loin d'y
penser ; j'avais bien d'autres préoccupations.

Ayant largué les ammares la veille de Falmouth à 13:50, j'avais donc,
une vingtaine d'heures de navigation derrière moi. Au départ, la météo
anglaise prévoyait NW 4-5. Après avoir entendu les Falmouth Coast
Guard pendant les jours précédents, à 7:16 ce matin là, j'avais
retrouvé avec plaisir le "CROSS Corsen qui passe sur canal 80 pour la
diffusion du bulletin météorologique...". Temps prévu, W NW 4-5
*passagèrement* 6.

D'après mes notes sur mon livre de bord, à 8:15, l'anémomètre
rapportait déjà un vent réel de 26.2 nds, à 11:09 il y avait 24.9 nds.
Et je n'ai pas le souvenir qu'entre 8 et 11 heures, le vent soit
brutalement tombé, au contraire :-). Mon père, qui remplaçait
Marie-Françoise incapable de tenir son quart, se souvient avoir vu des
rafales à 32 nds. C'est un peu après la rencontre avec les douaniers
que le bateau s'est couché dans le creux d'une grosse vague lors d'une
aulofée. Mon père était à la barre, il a du se pencher (pour rester
"debout") assez fort pour voir la couleur noire des oeuvres vives du
bateau. J'étais en bas et j'ai vu le hublot tribord du carré regardant
complètement sous l'eau. L'ovni 36 à une coque à bouchain vif. Le
hublot est sur le haut de la partie la plus verticale, à moins de 20
cm du rail de fargue. Aussi pour voir sous l'eau par ce hublot, il
faut vraiment giter très fort.

Pourtant, les conditions me paraissait plus clémentes que lors du
passage ente les Scilly et Land's End, les vagues moins hautes et le
vent moins fort. Par contre, il faisait gris, la visibilité était
réduite et surtout les vagues était nettement plus raides, sans doute
à cause du courant de près de 2 noeuds contre le vent.

Nous approchions du passage entre les plateaux de Barnouic et de la
Horaine. Je n'aime pas ces "zones incomplètements hydrographiées (voir
nota). Le 'nota' dit : "Des roches dangeureuses non représentées sur
la carte peuvent exister dans les zones incomplètement
hydrographiées".

Initialement, j'avis prévu d'aller voir si je pouvais rencontrer Hervé
à Chausey, en passant au Nord des Roches Douvres. Mais avec le temps
qui visiblement s'installait au mauvais fixe, je cherchait une mer
moins forte sous le vent de la côte. En plus, au bout de 20 heures de
navigations, je cherchait aussi une route plus courte vers Saint-Malo.

Le cap idéal pour la route nous mettait trop au vent arrière. Le cap
confortable vis à vis du vent nous envoyait sur le plateau des
Echaudés. J'avais donc pris la barre pour gérer au mieux le compromis.


On ne voyais rien sur l'horizon. Enfin j'aperçois une tourelle grise
avec les vagues déferlant à sa base. Je l'ai prise pour celle de
Barnouic bien qu'elle ne soit pas exactement là où je l'espértai.
Mais, à la réflexion, les énormes gerbes d'écumes à sa base ne
pouvaient pas être des vagues déferlant sur une tourelle. C'était bien
une vedette à moteur. Apparemment, elle naviguait à toute vitesse.

Relèvement au compas du même nom, attente, relèvement : route de
collision ! Je change de cap. Relèvement, toujours route de collision
! Je reprend mon cap. La vedette grossisait à vue d'oeil. C'était de
toute évidence une vedette militaire et elle venait vers nous. Mais
qu'est ce qu'ils peuvent bien faire là par un temps pareil ?

Elle ralentie juste sur notre arrière. Je fais un signe amicale de la
main, ça ne peut pas faire de mal :-) Ce monstre d'acier dont nous
venons d'avoir une petite idée de la puissance à voir les gerbes
d'écumes soulevées par l'étrave et la vitesse contre le vent dans une
mer pour le moins formée commence à tourner autour du bateau. Sous
grand-voile à 3 ris et un bon morceau de génois sur enrouleur, nous
avançions à près de 7 nds en surface. On aurait été à l'arrêt, ça
n'aurait pas changé grand chose pour le bâtiment nommé "DF 46".

La douane ! Pourvu qu'ils ne veullent pas monter à bord dans cette mer
là ! Mon père me dit de leur suggérer de nous retrouver dans un port à
l'abri. Je lui répond que là, ce n'est pas moi qui choisit. Et je lui
demande de m'apporter ma VHF portable, sans se casser une côte à
l'intérieur (il m'avait déjà fait le coup quand nous avions essuyé un
force 10 près de Jersey).

Quelques secondes après avoir allumé ma VHF, j'entends comme dans un
mauvais rêve : "Mélisande II, Mélisande II, Melisande II de DF 46, DF
46, DF 46...". Je m'applique à respecter le protocole de mon mieux
mais mélangeant quand même les "à vous" et les "over". Pendant les dix
derniers jours, c'était en anglais.
On passe sur le canal 10. Je n'avais jamais parlé sur ce canal
auparavant.
Ils veulent savoir :
- mon port d'attache, 
- mon port d'origine,
- mon port de destination.
Je leur réponds sans fioritures mais en hésitant sur le port de
destination ; j'envisageai d'aller m'abriter à Saint-Quai si le temps
s'aggravait.
Ils me demandent de répéter mon port d'origine.
Je le répète et l'eppelle : Foxtrot, Alpha, Lima, Mike...
Une pause.
J'entends avec soulagement : "Merci, bonne journée, terminé."
Quelques minutes plus tard, ils repartent. 

Ouf ! Il n'y avait rien dans le bateau qui aurait pu me faire craindre
une visite des douanes mais je me voyais mal me mettre à la cap dans
cette zone dangeureuse pour leur permettre de visiter le bateau.

J'ai demandé au loueur s'ils l'avaient contacté pour vérifier que ce
bateau se trouvait en situation régulière et si c'était courant de se
faire intercepter par la douane. Ils m'ont dit que non, mais qu'en
général, il n'y avait que les contrebandiers à naviguer dans ce type
de temps...

lb, un contrebandier ;-)
 

frbateaux.net - Horaire marée - Dernière mise à jour le 10 juillet 2012 - faq@frbateaux.net