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Charcot encore (coin des livres, 28 juillet)    
3 messages du 28/07/2001 au 02/08/2001    

 1 - De Eric Surzur le samedi 28 juillet 2001 à 18:45 
 
Pour cette livraison du "Coin des Livres" de juillet, j'ai choisi de vous
emmener dans le sillage d'un homme que j'admire beaucoup et qui fait partie
de ceux dont les exploits nautiques ne sont qu'une petite partie de
l'expression de hautes valeurs morales qui dépassent  de bien loin
l'habileté à mener un navire ou un équipage.

Si ce - long - texte pouvait vous donner envie de (re)lire Charcot....ça me
ferait plaisir.
Peut-être certains en parleront-ils autrement ou ont des textes de référence
à nous proposer ?

Allons-y....début du voyage:

Un homme remarquable, Pierre DRACH, Professeur à la Sorbonne et à l'Institut
Océanographique,
membre des expéditions polaires Charcot (1932, 1933, 1934) a rédigé la
préface de l'ouvrage du Commandant Charcot:

"LE POURQUOI-PAS ? DANS L'ANTARCTIQUE 1908 - 1910"
Editions Flammarion, 1968.

dont je vous livre, ici, l'intégralité:


"L'œuvre de Jean-baptiste Charcot s'est développée sous l'impulsion d'une
puissante vocation, mais d'une vocation d'abord contrariée; contrariée par
son père, Le Docteur Jean-Martin Charcot, l'un des grands neurologues de la
seconde moitié du 19 ème siècle, que de toute l'Europe. l'on venait
consulter à la Salpêtrière. A J-B Charcot des études médicales approfondies
sont imposées jusqu'à l'Internat, passé en 1891, et à la thèse soutenue en
1895, deux ans après la mort du grand neurologue; J-B Charcot avait tenu à
remplir tous les engagements pris envers son père, pour lequel, en dépit de
son inflexible autorité, une affection profonde et une admiration sans
limites.

Il est aujourd'hui difficile de comprendre les motifs de l'opposition du
père: peut-être voulut-il éprouver une vocation; ce qui est certain, c'est
que celle-ci en sortit singulièrement renforcée; ce qui est également
certain c'est que J-B Charcot acquit auprès e son père la rigueur
intellectuelle et l'exactitude des méthodes scientifiques. Dans une lettre à
sa femme le maître de la neurologie pressentait  d'ailleurs que son fils
pourrait s'illustrer autrement que lui: "Jean, y écrivait-il, n'est pas du
tout impassible à la réputation paternelle et je crois qu'il fera des
efforts pour s'en faire une qui lui appartienne"; ce que J-B Charcot
exprimera plus tard d'une manière laconique en disant: "Je ne voulais pas
être un fils à papa, mais le fils de papa". Très vite J-B Charcot se lance
dans des croisières vers le Grand Nord, avec des navires de faible tonnage,
à l'achat desquels il sacrifie une partie de sa fortune. Les premières
campagne son consacrées à des régions alors peu connues: l'archipel des
Feroes, entre l'Ecosse et l'Islande, puis l'île Jean Mayen, montagne de
laves et de glaces, surgie au milieu de l'océan Arctique, entre le Groenland
et le Scandinavie.

Mais de plus grands projets se dessinent alors; conscient de l'absence de
recherches françaises dans les régions polaires, Charcot pense qu'en s'y
consacrant, il pourrait en même temps servir son pays et satisfaire son goût
de la navigation et de la découverte. Au début de ce siècle les régions
polaires restaient encore la grande inconnue de notre planète. Il fait
alors, à ses frais, construire un trois mâts barque de 35 mètres, "LE
FRANCAIS" : son enthousiasme l'aidant à trouver un équipage et un petit
état-major scientifique, au total 19 hommes, marins et savants. Alors qu'il
avait préparé minutieusement une expédition vers le Nord, dans le secteur
très mal connu de la Nouvelle-Zélande, Il s'aperçoit que l'intérêt du monde
scientifique est ailleurs, vers le Sud, sur les rivages de l'Antarctique.

Sur le continent antarctique, à peine effleuré par les explorateurs du 19
ème siècle, considéré comme inhabitable par l'homme, une expédition belge
conduite par le lieutenant de vaisseau De Gerlache, sur la "Belgica" avait
séjourné et hiverné entre 1897 et 1899. Cette expédition, alors considérée
comme à la limite des possibilités humaines, frappe l'imagination des
explorateurs et des géographes. Le Congrès International de géographie de
1899 recommandait l'assaut du continent antarctique par des expéditions de
plusieurs pays, localisées dans des secteurs différents. La recommandation
est suivie par trois nations: la Grande-Bretagne, l'Allemagne et la Norvège;
4 groupes partent à l'assaut du continent antarctique: deux expéditions
britanniques, l'une anglaise, dirigée par Scott, l'autre écossaise, dirigée
par le Dr Bruce, une expédition allemande dirigée par Erich Von Drygalski,
un expédition norvégienne dirigée par Nordenskjöld.

Toutes ces expéditions étaient à pied d'œuvre au début de 1903. De cette
compétition la France était absente. Elle allait y entrer par la volonté, la
ténacité de Charcot. Au printemps de 1903, il abandonne l'idée de
l'expédition arctique et son enthousiasme convainc son équipage et ses
collaborateurs scientifiques, de remplacer cette mission de quelques mois
par par un expédition de 15 à 18 mois, dans l'inconnu des côtes
antarctiques, dans le secteur même où avait travaillé l'expédition belge,
celui qui fait face à la Terre de Feu et au Cap Horn, l'Antarctide
américaine.

Nous avons maintenant quelques difficultés à réaliser, ce qu'étaient les
expéditions polaires, et surtout les expéditions antarctiques du début du
siècle; aujourd'hui, tout l'arsenal des techniques modernes est mis au
service des hommes pour réduire les effets de la dureté du climat et pour
diminuer l'impression d'isolement du monde. Au temps des expéditions de
Charcot, ni avion, ni radio, ni écho sondeur donnaient de manière certaine
la
profondeur des eaux; sur de petits voiliers armés d'une machine à vapeur
auxiliaire de faible puissance (il fallait effectuer de longs trajets avec
peu de charbon) , les marins ne pouvaient compter que sur eux-mêmes dans la
lutte contre les vents, les glaces, les écueils inconnus. Il nous est
difficile d'imaginer les pensées et le courage des 19 hommes qui
accompagnaient Charcot, quittant les hautes falaises des terres
magellaniques, pour de longs mois de solitude, avec la perspective d'une
nuit de plusieurs mois, durant laquelle le navire reste prisonnier de la
banquise compacte jusqu'à la débâcle printanière de celle-ci.

Si ceci fut accompli, c'est qu'il y avait en eux, des plus simples aux plus
savants, l'enthousiasme et la soif d'inconnu que Charcot savait leur
communiquer.

Si les conditions de température furent moins pénibles qu'on ne pouvait
l'attendre, le thermomètre ne descendit guère au-dessous de - 30°, la
navigation fut au contraire très dure en raison du tassement des glaces et
des échouages sur d'imprévisibles hauts-fonds, dont l'un provoqua une grave
voie d'eau. Assez vite la qualité de la machine s'avéra très mauvaise; il
fallut procéder à des démontages et des réparations de fortune sur la
banquise. Tout cela n'empêcha point la bonne marche d'observations et de
mesures dans des domaines variés, physique du globe, météorologie,
océanographie, glaciologie et la récolte d'une faune et d'une flore marine
encore inconnues.

Les terres reconnues par De Gerlache furent retrouvées, leurs cartes
précisées, des terres nouvelles découvertes. L'Antarctide américaine se
révèle à cet égard comme l'un des secteurs les plus difficiles, aussi bien
du point de vue de la navigation que de l'interprétation de la topographie.
Le continent se termine par de hautes montagnes de 2000 m, dominant la mer
par de colossales falaises, séparées par des vallées glaciaires débitant des
icebergs; mais la côte elle-même est doublée d'une guirlande d'îles
montagneuses, dont il était souvent difficile de savoir s'il s'agissait
vraiment d'îles ou de promontoires avancés; en effet, les chenaux qui les
séparaient du continent, remplis de glaces, étaient le plus souvent
impraticables.

Le "Français", navire, trop petit, souffrit beaucoup des tempêtes et de la
navigation au milieu des glaces; en fin de campagne il était en si mauvais
état qu'il fallut l'abandonner à Buenos Aires.

Aussi est-ce sur un navire plus grand, plus fort, construit à Saint-Malo,
que celui-ci allait trois ans plus tard, avec des moyens accrus et, cette fo
is, une aide du Gouvernement, entreprendre sa deuxième expédition
antarctique, toujours dans l'Antarctide américaine.

Mieux équipé pour la navigation dans les glaces et l'hivernage dans la
banquise, le "Pourquoi-Pas ?" était un des meilleurs bateaux polaires de
l'époque; il permit un périple beaucoup plus vaste que celui du "Français",
l'exploration de plus de 1200 km de côtes et la découverte de terres
nouvelles. C'est cette prestigieuse expédition du "Pourquoi-Pas ?" que
rapporte Charcot dans cet ouvrage qu'il était important de rééditer

Les missions récentes, avec les possibilités d'observations aériennes
actuelles ont confirmé les documents et les conceptions de Charcot. Les
nombreuses publications où sont consignées les données scientifiques des
campagnes du "Français" et du "Pourquoi-Pas" sont encore à la base de la
bibliographie pour l'Antarctide américaine.

A son retour en France, les mérites de Charcot comme explorateur et
géographe sont enfin reconnus. Les sociétés de Géographie des grandes
nations lui confèrent leurs plus hautes récompenses. Charcot prend rang
parmi les plus grands explorateurs polaires de son époque.

La période d'exploitation des résultats scientifiques de la campagne
antarctique du "Pourquoi-Pas" fut interrompue par la première guerre
mondiale. Charcot commanda d'abord dans l'amirauté britannique, ensuite dans
la marine française, des chalutiers transformés en bateaux pièges (Q ships)
pour la lutte contre les sous-marins.

L'activité de Charcot après la guerre peut être divisée en deux parties:
1) une période Nord Atlantique où furent développées des recherches de
géologie sous-marine, alors tout à fait nouvelles, sous l'impulsion du
professeur Louis Dangeard;
2) une période groenlandaise qui commence en 1925 et se termine avec le
naufrage de 1936.

Avec les hautes montagnes du Groenland oriental, ses fjords remplis
d'icebergs, sa banquise côtière mouvante, Charcot retrouvait le monde
polaire sont il avait une si grande nostalgie. C'est à l'occasion de ses
campagnes groenlandaises que CHarcot multiplie les contacts avec les
islandais et les danois, dont il appréciait l'énergie, la vigueur et la
santé morale. Du gouvernement danois, il admirait l'effort fait en faveur
des populations d'Esquimaux du Groenland, qui, grâce aux règlements des
danois purent se développer, dans un  excellent état sanitaire et être mis à
l'abri des maladies européennes.

Cette période groenlandaise fut très variée et pleine d'imprévus. En 1933,
contrairement aux années précédentes, il y eut, en août et septembre
plusieurs semaines où la côte orientale du Groenland fut complètement libre
de glaces; Charcot en profita pour revoir une partie de la côte
groenlandaise, vue pour la première fois, cent ans auparavant, par un
officier français, le lieutenant de vaisseau Jules de Blosseville, qui s'y
perdit avec son navire, et dont le centenaire fut célébré à la Sorbonne, en
présence d'explorateurs danois qui avaient étudié cette même côte dans des
conditions très difficiles au début du siècle, en 1900: l'amiral Amdrup et
Ejnar Mikkelsen. La même année 1933, le grand explorateur Rasmussen
découvrait en survol aérien dans l'arrière-pays les plus hautes montagnes du
Groenland qui portent aujourd'hui son nom, les Monts Rasmussen.

Pour l'année suivante, l'approche des monts Rasmussen avait été préparée par
l'état-major de la mission Charcot. Mais les années se suivent et ne se
ressemblent pas; en 1934 la côte fut inabordable, embâclée de glaces serrées
sur une largeur de plusieurs dizaines de milles.

De ce survol très rapide de l'œuvre de Charcot, que peut-on conclure ?

Il est des hommes dont l'œuvre a marqué une époque et compté dans le destin
de leur pays; que Charcot ait été de ceux-là est incontestable et
incontesté. Mais il est des oeuvres en quelque sorte fermées sur
elles-mêmes, quelle que soit leur valeur, leur ampleur et leur beauté.
L'action et l'œuvre de Charcot sont à l'opposé; vivants exemples, elles sont
créatrices d'avenir; par ses campagnes antarctiques du "Français" et du
"Pourquoi-Pas ?" Charcot donne place à la France dans l'histoire moderne de
l'exploration polaire; mais aussi il renoue avec la grande tradition de
Dumont d'Urville qui, entre 1838 et 1840, fut un des premiers, peut-être le
premier, à toucher le continent antarctique; c'est le fameux débarquement en
Terre Adélie où est installée depuis une mission française permanente.
Pendant plus de 60 ans la France se désintéresse, s'exclut de l'exploration
polaire, par négligence, par indifférence. Par sa ténacité, par sa volonté,
par sa vision de l'intérêt géographique et scientifique des régions
polaires, Charcot devait en forcer l'accès au bénéfice de la France; c'est
cela que, sans contestation possible, la France doit à Charcot. Elle lui
doit aussi ce grand courant d'intérêt, aussi bien dans l'opinion publique
que dans les milieux scientifiques, courant d'intérêt si riche qu'il devait
être à l'origine de la vocation d'un Paul-Emile Victor, à l'origine des
expéditions polaires actuelles au Groenland et enTerre Adélie.

J'ai tenté d'évoquer, l'œuvre, j'ai peu parlé de l'homme auprès de qui j'ai
eu le privilège de vivre au cours des campagnes groenlandaises de 1932, 1933
et 1934, alors que je débutais comme assistant à la Faculté des Sciences de
Paris.

Charcot fut un homme d'une grande noblesse de caractère et d'une parfaite
simplicité, très dynamique, très gai, n(ayant jamais l'air de se prendre au
sérieux. La droiture, la rigueur intellectuelle étaient chez lui sans
faille; il avait une telle générosité naturelle, une telle confiance dans
les hommes, que l'idée de rencontrer chez les autres des marques de
déloyauté ou d'ingratitude, ne l'effleurait pas; quand malheureusement il
était obligé de les constater, il en éprouvait une grande tristesse, comme
si cela lui arrivait pour la première fois.

Un autre aspect saisissant de la personnalité de Charcot était sa jeunesse,
jeunesse de corps, jeunesse d'esprit; à plus de 65 ans Charcot grimpait dans
les haubans comme un jeune matelot. Il fallait le voir des heures entières
au plus haut du grand mât, dans le nid-de-corbeau, l'œil fixé sur l'horizon
pour trouver des passages dans la banquise. Mais surtout Charcot avait une
immense culture, s'intéressait à tout, n'était blasé sur rien, et se sentait
de plain-pied avec les jeunes générations; aux heures des repas, le carré du
"Pourquoi-Pas ?" retentissait de discussions passionnées sur les sujets les
plus variés; nous y fûmes fascinés par l'originalité de ses vues,
l'universalité de son esprit.

Il avait gardé le privilège d'émerveillement de la jeunesse; grâce à tous
ces dons qui font les grands poètes, lui, le vétéran resta jusqu'à la fin
jeune parmi les jeunes.

Charcot a su inscrire quelque chose de nouveau au destin scientifique de la
France, un  intérêt passionné et une action efficace dans les régions
polaires: c'est la plus belle survie dont il pouvait rêver."

Pierre DRACH,
Professeur à la Sorbonne et à l'Institut Océanographique,
membre des expéditions polaires Charcot (1932, 1933, 1934).
 
 2 - De Nominoe le samedi 28 juillet 2001 à 19:11 
 
encore merci pour ces instants de culture...

Nominoë

PS : ça faisait bien longtemps d'ailleurs :-)))
 
 3 - De Eric Surzur le jeudi 02 août 2001 à 12:17 
 
Bonjour Nominoe,
....et bien ! A part toi, Charcot n'intéresse pas grand-monde, ce que je
trouve étrange. Méconnaissance ? Je pense.
Eric.

"Nominoe" <Nominoe.Piriou@Wanadoo.fr> a écrit dans le message news:
cnC87.1442$Hr1.3309617@nnrp5.proxad.net...
> encore merci pour ces instants de culture...
>
> Nominoë
>
> PS : ça faisait bien longtemps d'ailleurs :-)))
>
>
 

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