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Bonjour tout le monde,
A peine remise d'un week-end fort sportif sur Petit Trot, j'ai eu la
chance d'embarquer dimanche dernier sur la Granvillaise pour la régate
contre la Cancalaise...Une toute autre expérience de la voile!
(Note : il s'agit là de ma toute première régate, donc avis aux
régatiers, si je dis des énormités, notamment sur les règles de régate ,
n'hésitez pas à me corriger...Et comme j'avais un peu "le nez dans le
guidon", je n'ai pas toujours suivi sur le moment tous les parcours et
les décisions de manoeuve, que je reconstitue maintenant avec la carte
sous les yeux...). Et ça va être long, je fais plusieurs messages!
Dans le plus bel esprit des régates qui opposaient au début du siècle
cancalais et granvillais, les deux bisquines, bateaux de pêche de la
Baie du Mont Saint Michel, La Cancalaise et la Granvillaise, se sont
affrontées en régate dimanche 6 mai entre Granville et Chausey, dans le
cadre des Escadres de mai, petit rassemblement de vieux gréements à
Granville.
Imaginez un trois-mats aux lignes fines, coque de 18 mètres de long et
4m75 au plus large, à l'étrave presque droite et longue voute à
l'arrière, silhouette prolongée vers l'avant d'un bout-dehors de 10
mètres et vers l'arrière d'une queue de malet de 4 mètres. Pas de winch,
pas de taquet coinceur ni d'enrouleur de voile, toutes les manoeuvres se
font à la force des bras...Et des bras, il en faut pour manoeuvrer une
bisquine sous voile, véritable cathédrale de toile. De l'avant vers
l'arrière : un foc amuré au bout du bout-dehors, une misaine, une
grand-voile (taillevent à Granville), un tape-cul, voiles carrées au
tiers, enverguées, sans bome, amurés au pied de mats. Quand le vent est
favorable, un deuxième étage de voiles est hissé : petit hunier, grand
hunier, hunier de tape-cul. Et les jours de régates, on réhausse encore
les mats, qui culminent alors à plus de 22m, permettant de hisser petits
et grands rikikis (perroquets à Cancale), le secret d'une régate
réussie...On arrive ainsi à une voilure impressionnante de puissance de
plus de 330 m2 (voir
http://perso.wanadoo.fr/turbert-granvillaise/fp-voilure.html). Pas
d'étais ni de hauban fixe pour le gréement, simplement des bastaques
réglables, et les mâts, dans la bonne brise, peuvent plier de façon
impressionnante.
Bien que soeurs, la blanche Granvillaise et la noire Cancalaise ne sont
pas jumelles. De longueur équivalente, leurs coques n'ont pas le même
profil (vu en coupe, le profil de coque de la Cancalaise est plus creux
et celle de la Granvillaise presque droite) et la Cancalaise est plus
légère (45 tonnes contre 55). Et les cancalais sont de redoutables
marins qui connaissent par coeur leur bateau. La Cancalaise est en
théorie avantagée dans le petit temps et sur les bords de près, alors
que la Granvillaise donne le meilleur d'elle-même par temps forcissant
et au portant. Inutile de dire que les équipages surveillent la météo :
15-20 nœuds de vent de NE annoncés, mer peu agitée, bref les conditions
idéales pour une belle régate (à part la température quasi-hivernale et
un soleil boudeur). Les équipages sont à pied d'oeuvre au petit matin :
14 personnes qui se répartissent sur les différentes voiles : 4
personnes pour régler le foc, 3 pour la misaine (dont moi), 5 au
taillevent, un barreur et un tacticien. Ces bras seront loin d'être de
trop quand il s'agira de hisser les voiles, et de border les écoutes
sous le vent, beaux bouts en chanvre de plus d'un cm de diamètre, qui
arrachent la peau quand ils sont gorgés d'eau salée.
Les bateaux sortent du port de commerce et les voiles sont hissées
devant le port de Granville. Comme le vent souffle, on s'arrête aux
huniers. Les bisquines sous voiles évoluent au milieu des autres vieux
gréements : le Lys Noir, le Courrier des Iles, le Charles-Marie, Fleur
de Mai et la Sainte-Jeanne. C'est l'occasion de vérifier la cohérence de
l'équipage en testant quelques manœuvres : tout est en place. Le premier
départ est annulé à 1 minute, pour cause de panne de réveil des
journalistes de France 3…Et c'est reparti pour la procédure : 10
minutes, 5 minutes, il faut prendre une place favorable près de la ligne
au milieu des autres bateaux plus ou moins manoeuvrants. Pas facile, et
la Cancalaise, génée par Fleur de Mai, grille le départ de quelques
secondes. Ils en sont donc quittes pour refaire un tour, et la
Granvillaise en profite pour faire route, avec une avance de 4 minutes.
Au bon plein, avec un vent qui forcit en rafale à 20-25, la Granvillaise
avance à 9.5-10 nœuds (vitesse surface), gite gaiement et trempe la
lisse dans l'eau, au grand damn des équipiers sous le vent qui se
remplissent les bottes. Les vagues passent par dessus l'étrave et
douchent le pont en bois, le transformant en joyeuse patinoire…Dans un
grain un peu plus violent, il faut affaler le petit hunier, qu'on
renverra un peu plus tard…Drisse, écoute, on tire et on tire, il faut
trouver le bon rythme pour que les voiles montent sans accroc.
Le parcours est simple : depuis Granville, laisser à tribord la bouée de
Videcoq (environ 5 miles à l'est de Granville), puis remonter vers le
Nord-Est pour virer la balise du Founet, cardinale Est à l'est de
l'archipel de Chausey, avec une arrivée sur un bord de portant devant
les Huguenans. De la Videcoq à la cardinale il faudra 2 bords de près,
et les options sont différentes : la Granvillaise vire après la Videcoq,
tire au près vers l'est avant de revirer sur la cardinale; la Cancalaise
préfère prolonger son premier bord vers Chausey et virer bien plus près
de l'archipel en le longeant sur toute sa bordure Nord. La bonne tenue
de la Cancalaise au près se confirme, car quand les bateaux se croisent
la première fois au large de la Videcoq, la bisquine noire a refait
presque tout son retard. Mais près des cailloux ils sont plus génés par
le courant, et l'écart est exactement le même au deuxième croisement. Le
tacticien de La Granvillaise fait un boulot remarquable en nous emmenant
pile-poil sur la cardinale, alors que la Cancalaise prolonge un peu trop
son bord vers l'est : il y a 7 minutes d'écart au passage de la bouée !
La Granvillaise peut alors filer grand largue - vent arrière vers la
ligne d'arrivée. C'est à cette allure, taillevent et misaine bien
choqués, huniers gonflés, que les bisquines donnent toute l'image de
leur puissance.
(une photo des régates de 1999:
http://perso.wanadoo.fr/turbert-granvillaise/granvillaise/bisq-g90-c87-reg.jpg).
Les granvillais essayent de hisser le grand rikiki pour parfaire le
spectacle mais la drisse reste coincée dans le réa (qui est directement
taillé dans l'épaisseur du mat). Tant pis. Les cancalais réussissent la
manoeuvre et le spectacle est saisissant.
Première manche pour Granville. Les cancalais, un peu véxés, font preuve
de leurs qualités de marins en nous offrant une magnifique maoeuvre de
mouillage sous voile : sous foc, misaine et taillevent, ils entrent dans
le chenal Beauchamps, vent de travers à grande vitesse, puis viennent se
mettre face au vent en choquant le foc et la misaine et en bordant le
taillevent dans l'axe (si j'ai bien suivi la manoeuvre); l'erre est
annulée par le courant et le bateau s'arrête net pendant que l'ancre
descend rapidement ; il n'y a plus qu'à affaler les voiles. Les autres
bateaux de la flotille sont déjà au mouillage, et malgré la bruine
passagère, c'est un magnifique spectacle que ces belles coques et ces
gréements divers au milieu de l'archipel qui découvre ses dessous avec
la marée descendante.
(A suivre...)
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Sophie, de Granville
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