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bonsoir
qui a écrit ce magnifique texte, on dirait du Coloane ?
(ce n'est pas une devinette mais une question)
Hubert, de Cherbourg
hubert.perio@laposte.net
http://hubert.perio.free.fr/
Alakaluf <alakaluf@free.fr> a écrit dans le message :
y0l06.296$39.1117244@nnrp3.proxad.net...
>
> Hommes frileux qui, sur vos grandes pirogues blanches, allez passer aux
> pieds des îles qui furent notre terre, ayez une pensée pour nous, les
hommes
> de ce bout du monde. Vous qui avez rebaptisé ce lieu de froidure et de
vent
> du nom d'un village de votre continent, Hoorn, ayez une pensée pour tous
> ceux qui, pendant des milliers de générations, ont vécu ici.
> Quand vos premiers vaisseaux sont arrivés, les Anciens les ont pris pour
de
> grands rochers flottant sur la mer, vos officiers habillés et poudrés de
> blanc, pour des grands cormorans de haute mer. Nous avons allumé des feux
> sur toute la côte pour prévenir notre communauté dispersée de cet étrange
> phénomène. Vous avez alors appelé notre terre "Terre des Fumées". Ce nom
ne
> plaisant pas à vos rois, vous l'avez rebaptisée "Terre de Feu". Vous nous
> avez nommé "Yaghan", nous qui nous sommes toujours baptisés "Yamana"
> ("Hommes"), "Alakaluf" ou "Oonas". Vous nous avez donné de la farine :
nous
> l'avons étalée sur notre corps nu enduit de graisse de phoque, pensant que
c
> 'était du "tumap", cette poudre blanche magique de nos cérémonies. Vous
nous
> avez donné du savon : nous l'avons mangé. Vous nous avez donné des
> confitures et du chocolat : nous les avons recrachés, pensant que vous
> vouliez nous empoisonner, car nous ne connaissions pas le sucré. Notre
> langue avait plus de 60 mots pour décrire le malheur, et pas un seul pour
> exprimer le bonheur. Comment aurait-il pu en être autrement ?
> Voici des milliers de lunes, nous habitions loin vers le couchant, dans
ces
> contrées où les hommes ont le regard bridé, semblable à une tire-lire de
l'
> âme. Peuple pacifique, nous avons d'abord été chassés vers le Nord, pays
des
> glaces éternelles. Un passage nous a permis de gagner vers le levant, puis
> vers le Sud, dans un pays où les habitants avaient la peau rouge, le corps
> peint et la tête couverte de plumes d'aigles. Eux aussi nous ont chassés,
> flèches et lances pointées contre nos enfants. Nous sommes encore
descendus
> vers le Sud, toujours chassés, toujours exterminés. Nous sommes entrés sur
> le territoire des coupeurs de tête habillés d'or, vénérant des serpents à
> plume et adorant le dieu Soleil. Poursuivis encore, nous sommes avons dû
> descendre jusqu'au bas de la terre. Arrivés au bout du monde, dans ces
îles
> sauvages et rudes, les autres hommes nous ont enfin laissés tranquilles.
Qui
> pourrait habiter, là, de toute façon ? Ici règnent les vents fous et les
> vagues blanches de colère. Ici règnent le froid et la neige. Ici nagent
les
> baleines géantes et les orques mangeuses d'hommes. Ici volent les albatros
> qui attaquent les nouveaux-nés laissés sans protection. Nous avons creusé
> les troncs des hêtres qui poussent malgré le vent, construits des canots,
> mis notre feu dedans, une femme et deux enfants, et nous avons fait nôtre
> ces bouts de terre désolés. Pendant des générations, nos femmes nues ont
> plongé dans l'eau glaciale pour cueillir les "cholgas", ces moules géantes
> dont nous jetions les coquilles vides au pied de nos maigres huttes.
> Aujourd'hui recouvertes de terre, elles forment d'immenses tumulus qui
> ondulent comme des vagues dans les herbes du rivage. Nous changions
> fréquemment de camp et d'île, selon la saison. Quand une baleine
s'échouait
> dans une anse, des feux prévenaient la communauté. A cette occasion
> seulement, toutes les familles se réunissaient pour célébrer la mort du
> géant et l'abondance de la viande. Nos enfants buvaient le lait du phoque
et
> nous enterrions nos morts à la surface de la terre avant de brûler leurs
> ossements.
> Et puis, vous êtes venus sur vos grands vaisseaux. Vous nous avez trouvé
> laids et semblables à des brutes. Vous n'avez pas aimé ni compris notre
> nudité. Vous nous avez imposé des vêtements et un Dieu de souffrance, nous
> qui ne connaissions qu'elle. Vous avez ramené certains des nôtres dans vos
> pays lointains, changeant leur nom, bouleversant leurs convictions. Voici
> moins de cent ans, vous avez même exposé une famille entière dans l'un de
> vos grands villages, appelé Paris, dans un endroit nommé Jardin d'
> Acclimatation, où vous enfermiez des animaux étranges. Etions-nous des
bêtes
> pour être ainsi montrés à votre peuple derrière des barreaux, avec un
simple
> écriteau posé sur les grilles ? Bien peu d'entre vous ont tenté de
> comprendre notre langue rauque et liquide, faite de roches dures et d'eau
> froide. Vous nous avez rassemblé dans les villages que vous construisiez
le
> long de nos côtes, comme Ushuaia. D'étranges maladies nous ont décimés.
Nous
> n'avons pas tenté de résister. Nous nous sommes laissés mourir plutôt que
de
> nous battre, plutôt que de vivre à votre façon.
> Hommes frileux à la peau claire qui allez passer, sur vos grandes pirogues
> blanches, au pied d'un de vos mythes, là-bas, au bout du monde, songez un
> instant aux miens. Cette terre de légende et de souffrance a été la nôtre
> pendant des milliers d'années. Sur les îles qui cernent votre cap Horn, ne
> restent que quelques silex taillés abandonnés dans les algues géantes et
des
> montagnes de coquillages enfouis sous la terre. Mais, dans le vacarme du
> vent qui hurle sans relâche, peut-être entendrez-vous les chants tristes
de
> mon peuple.
>
>
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