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Bisquine, mon amour    
2 messages du 18/01/2001 au 19/01/2001    

 1 - De Hervé Hillard le jeudi 18 janvier 2001 à 09:50 
 
Bonjour,

Puisqu'il est ici question de bisquine, à mon humble avis le plus beau
et le plus formidable voilier de travail de nos côtes (là, je sens que
je vais recevoir du courrier, tant pis, j'assume...), en voici une
présentation. Un peu longue, et je vous prie de bien vouloir m'en
excuser. Mais, quand on aime...
Hervé

Les impressionnantes mensurations d'une bisquine du début du siècle vous
rappelleront peut-être quelque chose. Voyons : un peu plus de 18 mètres
de coque, 340 mètres carrés de toile… Mais oui, ce sont les mêmes
chiffres qu'un 60 pieds Open actuel ! Fichtre, voilà un bateau
"traditionnel" qui promet, au moins sur le papier ! Et qui tient ses
promesses sur l'eau. Car il faut encore lui ajouter, devant, un
interminable bout-dehors de 30 pieds et, derrière, une queue-de-malet de
4 mètres ! Au-dessus du pont, la démesure est également de mise : les
trois mâts portent jusqu'à trois étages de voiles. Pas de doute, la
bisquine est et restera comme le plus beau, le plus toilé, le plus
puissant voilier de travail de nos côtes…
Née au début du XIXe siècle dans le golfe de Gascogne ? ou golfe de
Biscaye ?, la "biscayenne" des pêcheurs basques est pointue aux deux
extrémités. Ce type de voilier, performant mais non ponté, essaime peu à
peu le long de la côte Atlantique, évoluant au fil du temps et des
caractéristiques de chaque bassin de navigation. Au milieu du XIXe
siècle, la biscayenne devient bisquine et donne naissance, en Bretagne
Nord et en Normandie, à une progéniture très variée, en taille comme en
gréement. Mais c'est dans la baie du Mont-Saint-Michel, entre 1890 et
1930, que les constructeurs vont lui donner ses lettres de noblesse. Il
est vrai que, pour pêcher dans un coin où le marnage dépasse parfois les
14 mètres ? soit la hauteur d'un immeuble de quatre étages ? et où les
courants ressemblent à un monstrueux fleuve en cru, il faut un voilier
fin et rapide, bon manœuvrier, gagnant bien dans le vent. Les
constructeurs de Granville et de Cancale s'emploient à améliorer le type
initial. Les formes avant s'affinent, le tirant d'eau augmente, la voûte
arrière s'allonge, rasante, magnifique. Vers 1900, la bisquine est à son
apogée…
Chantiers et marins ont alors deux mots d'ordre : plus de puissance,
plus de vitesse. Il faut aller vite parce que les périodes de pêche ?
huîtres et coquilles saint-Jacques notamment ? sont strictement
réglementées et surveillées. Il faut aller vite parce que, quand 400
bisquines de toutes tailles sont au mouillage devant Cancale, prêtes à
partir dès le coup de canon des gardes-pêche ? l'ahurissant spectacle de
cette "caravane" a été immortalisé par une célèbre toile du
peintre-navigateur Marin-Marie ?, il faut être le premier à arriver sur
les lieux de pêche, puis le premier à rentrer au port pour vendre sa
prise. Il faut de la puissance parce que, utilisées au chalut, à la
ligne ou à la drague, les bisquines encaissent des efforts colossaux et
doivent se muer en remorqueur... Ainsi, pour récolter les fameuses
huîtres "pieds de cheval", les bateaux labourent les fonds à l'aide de
quatre "fers", lourdes cages métalliques précédées d'une lame de faux
fouillant le sable. Pour vous donner une idée, mouillez quatre ancres au
cul de votre voilier de plaisance. Puis essayez d'avancer quand même ?
uniquement sous voiles, bien sûr… Il faut aller vite, enfin, parce que
les régates locales sont devenues une institution, un rendez-vous annuel
obligé, un motif de fierté et de discorde entre les deux principaux
havres de la baie. Les Bretons de Cancale et les Normands de Granville
mettent un point d'honneur à s'imposer. Et ne se font aucun cadeau...
Si les premières régates officielles datent de 1845, il faut attendre
1895 pour qu'elles entrent dans leur âge d'or - qui durera jusqu'en
1914. C'est pendant cette période que sont construites les plus belles
bisquines : Le Vengeur (G 15), La Rose-Marie (G 16), La Mouette (CAN 37)
ou La Perle (CAN 55). Les courses ont lieu l'été, devant Saint-Malo,
Cancale et Granville. Quelques jours avant, les bateaux sont tirés au
sec, carénés, passés au coaltar et suiffés. Les voiles qui ne servent
qu'en course (bonnette, perroquets, hunier de tape-cul) sont sorties des
greniers et soigneusement vérifiées… Une fois le départ donné, la lutte
est impitoyable. Le fameux bout-dehors participe au spectacle, apportant
une note chevaleresque à ces empoignades de manants : aux virements de
bord, cette formidable lance balaie plus de 100 mètres carrés de terrain
en quelques secondes ! Que deux bisquines se croisent, s'asticotent, et
les manœuvres prennent vite des allures de tournoi - où les montures
atteignent 90 000 livres, et les rênes, plusieurs dizaines de mètres.
Pour le reste, on est loin de l'esprit de la chevalerie : en course, les
refus de tribord et les abordages sont fréquents ? quand 47 tonnes de
chêne et d'iroko décident de partir au lof, il est bien difficile de les
ramener dans le droit chemin. Les équipages s'injurient, brandissent des
avirons, voire des haches ? et il n'est pas rare que des bagarres à
terre concluent les distributions des prix. Il est tout à l'honneur des
Cancalais et Granvillais de n'avoir pas, aujourd'hui, poussé le vice de
la reconstitution jusqu'à conserver ces rudes coutumes…
Car les fabuleuses bisquines ne sont pas mortes ! C'est le petit port de
Cancale qui a montré la voie, dès 1987. Et à plus d'un titre : avec le
lancement de La Cancalaise (directement inspirée de La Perle, née en
1905), la France assiste ? enfin !? à la première reconstitution
d'importance de son patrimoine nautique. Piqué au vif, Granville suit le
mouvement. Trois ans plus tard, le constructeur Claude Anfray met à
l'eau La Granvillaise, inspirée de La Rose-Marie, chef-d'œuvre né en
1900. La première est noire ; la seconde est blanche. Toutes deux sont
magnifiques. Et vont pouvoir à nouveau régater.
En juillet 1990, pour leur premier affrontement, les marins ont laissé
au grenier les insultes et les haches ? mais pas leur volonté de
vaincre. Les deux bisquines portent tout dessus. Neuf voiles, donc. Foc,
misaine, taillevent et tape-cul occupent le premier étage. Le petit et
le grand huniers, ainsi que le hunier de tape-cul, sont hissés au
second. Enfin, petit et grand perroquets (appelés "rikikis" à Granville)
coiffent l'ensemble de leur trapèze "volant" : ils culminent à 20 mètres
au-dessus du pont. "Des voiles délicates à régler, mais primordiales,
expliquent les anciens. Le rikiki, c'est la plume qui fait voler
l'oiseau…" Et la bonnette, c'est ce qui le fait planer : au portant, on
rajoute donc cette dixième voile… Pas étonnant qu'aujourd'hui encore,
cette impressionnante envergure fasse s'envoler l'imaginaire et les
rêves…
 
 2 - De Jean-Luc Jacq le vendredi 19 janvier 2001 à 19:08 
 
Hervé Hillard <hillard@voilesetvoiliers.com> a écrit dans le message :
3A66AE6B.B8064CFF@voilesetvoiliers.com...
> Bonjour,
>
> Puisqu'il est ici question de bisquine, à mon humble avis le plus beau
> et le plus formidable voilier de travail de nos côtes (là, je sens que
> je vais recevoir du courrier, tant pis, j'assume...), en voici une
> présentation. Un peu longue, et je vous prie de bien vouloir m'en
> excuser. Mais, quand on aime...
> Hervé
>
Salut
Puisqu'on parle des régates de Bisquines il faut aussi évoquer le côtre
Reder Mor de Roscoff qui encore récemment leur a montre son tableau arrière.
Jean-Luc
 

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